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Chapitre 17




               Le retour
               La parenthèse guadeloupéenne, qui avait duré environ un mois, émaillée par force anecdotes,
               des  plus  voluptueuses aux plus  dangereuses,  allait prendre  fin. Comme  au Liban plusieurs
               années auparavant, j’allais faire les frais de l’Histoire et de ses turbulences. En toute candeur,
               j’étais allée au bout du monde chercher la paix intérieure dont j’avais besoin. Or j’y avais
               trouvé en bruit de fond une situation politique et sociale explosive. Un groupe de militants
               nationalistes  réclamait  l’indépendance  de  l'île.  De  1980  à  1988,  des  attentats  terroristes
               secouèrent  la  Guadeloupe.  En  2003,  lors  du  rififi  référendaire,  par  la  force,  les
               indépendantistes firent évacuer tous les touristes dont les valises étaient simplement jetées par
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               les fenêtres des hôtels où ils étaient descendus.
               Fin mai-début juin 83, par une chaleur de plomb, je me retrouvai quasiment forcée par les
               événements à l’aéroport de Pointe-à-Pitre, bruyant, bondé à craquer de vacanciers, certains
               hébétés,  d’autres,  les  nerfs  à  vif.  Après  une  attente  interminable,  seule  au  centre  d’une
               pagaille  angoissante,  j’embarquai  finalement  dans  un  avion  où  je  ne  disposais  même  pas
               d’une place assise. L’appareil qui me ramenait en métropole était rempli à ras bord de monde,
               au-delà même des consignes de sécurité et des normes aériennes.
               Très vite après mon retour de Guadeloupe, je pris contact avec Fabien pour finaliser notre
               divorce  et  couper  définitivement  les  ponts  avec  cet  homme  qu’au  tréfonds  de  moi-même
               j’aimais encore, mais que je ne pouvais m’empêcher de haïr aussi à cause de ses abjections,
               trahisons, et de toutes les pertes qu’il m’avait fait subir. Dans un premier temps, nous avions
               opté pour un divorce par consentement mutuel, puis de désaccord en désaccord, chacun de
               nous engagea un avocat.
               Au cours de mon divorce, dépossédée de tout, je vécus une période d’extrême vulnérabilité,
               orpheline  de  ces  illusions  qui  permettent  à  certains  de  considérer  leur  propre  sort  avec
               détachement. J’allais me rapprocher d’un complice à ma mesure, un cabossé de la vie animé
               du même état d’esprit que moi, puisqu’il émergeait lui également d’une rupture qui le laissait
               totalement  démuni.  C’est  au  restaurant-bar  de  L’Ane  Rouge,  peu  avant  l’incendie  de  ma
               maison qui marqua ma chute suprême, que je rencontrai Thierry. Homosexuel élancé portant
               beau, à l’élocution rapide, précise et animée, au regard de braise irrésistible, ce maître d’hôtel
               du  célébrissime  Club  58  à  Genève  allait  devenir  un  alter  ego  idéal,  au  point  que  nous
               emménagerions tous deux dans la maison qu’il occupait en rase campagne, à la Roche-sur-
               Foron, commune française située dans le département de la Haute-Savoie en région Rhône-
               Alpes.
               Comme  deux  fétus  de  paille  en  perdition,  ballottés  par  un  destin  qui  ne  nous  avait  pas
               ménagés, nous allions célébrer Bacchus, dieu du Vin, de l'Ivresse, des débordements et du


               26  Ces attentats furent revendiqués par le GLA (Groupe de Libération Armée), puis par l’ARC (Alliance
               révolutionnaire caraïbe). C’était la première fois qu’une organisation s’en prenait à coups de bombes à la
               présence française dans un département d’Outre-Mer.
               Amnistiés par Mitterrand parvenu au pouvoir le 1er mai 1981, les indépendantistes emprisonnés quelques mois
               et accusés d’être les poseurs de bombe du GLA fondèrent le MPGI (Mouvement pour la Guadeloupe
               indépendante). A partir de 1983, de nouveaux attentats à la bombe secouèrent l’île. Grèves de la faim, attentats,
               transferts de prisonniers en France, le colonialisme français vivait ses derniers soubresauts. La répression contre
               les militants indépendantistes dura cinq ans. Barrages de gendarmerie, perquisitions, arrestations : les actes de
               l’autorité étaient quotidiens. Même si la population n’adhérait pas aux actions terroristes, elle ne les condamnait
               pas pour autant et elle s’opposait à la répression. Wikipédia.

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