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Les faveurs sexuelles que je me devais de lui prodiguer en échange de la somme allouée me
               dégoûtaient de plus en plus. Restait le souci du lendemain. Si je le congédiais, qu’allais-je
               faire ? Comment assurerais-je ma subsistance ? Un jour que je feuilletais un magazine local,
               je tombai sur une petite annonce : « A vendre à Annecy centre de remise en forme, prix à
               discuter ».  Cette  région,  ancien  fief  de  la  Maison  de  Savoie,  me  plaisait  énormément.  Je
               n'hésitai  pas  une  seconde,  décrochai  mon  téléphone  et  pris  rendez-vous  pour  la  visite  des
               lieux. Le centre Mandalaz, fermé depuis longtemps, eut tôt fait de me convaincre. Sur près de
               cent cinquante mètres carrés étaient installés un vestiaire, un bar, une grande salle centrale, au
               fond de laquelle un immense jacuzzi surélevé était lové dans un angle de la pièce, une salle de
               relaxation,  ainsi  qu’une  salle  de  douches,  entre  le  sauna  et  le  hammam.  Ce  lieu,
               ingénieusement conçu, offrait  une panoplie de prestations  prometteuses. Il  faudrait juste le
               mettre  en  valeur.  J’en  ferais  un  espace  empli  de  douceur,  raffiné,  magique,  aux  couleurs
               subtilement choisies et aux lumières tamisées, un lieu pour ressourcer les corps comme les
               esprits. Un certain nombre de travaux allaient être nécessaires. Pour ce faire, j’engageai toute
               ma fortune. Afin de financer ce projet, j’hypothéquai mon appartement comme le terrain que
               je possédais encore au Praz-de-Lys, jouant une fois encore le tout pour le tout. L’opération
               bancaire ne fut acceptée qu’à ces conditions.
               Les travaux importants de décoration que j’avais projetés s'avérèrent plus longs que prévu.
               Finalement,  début  1989  couronna  mon  installation.  Tentures,  miroirs  teintés,  profusion  de
               plantes  vertes,  écran  géant  projetant  des  films  documentaires  animaliers  ou  montrant  des
               plaines  verdoyantes  apaisantes  étaient  définitivement  en  place.  Le  centre  de  relaxation
               douillet avait fière allure.
               Connaissant mieux que personne les classiques malentendus autour du terme « relaxation »,
               j’allais  me  montrer  particulièrement  vigilante  pour  éviter  toute  dérive  vers  un  lieu  de
               prostitution, de drague et toute autre activité que celle de la détente. Je souhaitais un lieu de
               relaxation et de bien-être pour emporter la clientèle dans sa magie qui invitait au voyage du
               lâcher prise et du rêve, sans aucune connotation sexuelle. J’avais pris des cours de massage
               californien et entendais bien me cantonner à ce type de prestations (la technique du massage
               californien  a  été  créée  par  Margaret  Elke  et  n’a  aucune  connotation  sensuelle).  Outil
               complémentaire  au  travail  psychothérapeutique,  cette  technique  s'est  surtout  popularisée  à
               partir des années 1980.
               La politique de l’ancien patron, un peu laxiste sur ce plan, m’obligea à trier rigoureusement la
               clientèle et à introduire des règles de comportement strictes, mais pas trop quand même.
               Organisé selon un système d’abonnement, le centre fonctionna assez rapidement de manière
               satisfaisante,  malgré  des  coûts  de  maintenance  élevés.  Chaque  détail  avait  été  précisément
               pensé.  La  première  année  d'exploitation  produisit  de  belles  performances  mais  ce  n’était
               toutefois  pas  suffisant  pour  rembourser  le  prêt.  Aidée  d’une  assistante  et  pleine  de  bonne
               volonté, je m’impliquai totalement dans cette nouvelle activité. Fermé le matin, le centre était
               ouvert en nocturne jusqu'à vingt-deux heures trente. Après la fermeture des lieux, il y avait
               encore les nettoyages à faire, puis le trajet Annecy Gaillard, lorsque je ne dormais pas sur
               place. Sacrifiant régulièrement mes heures de sommeil, j’avais la rage, la volonté féroce de
               réussir cette fois-ci. Souvent fatiguée, je tenais néanmoins bon, investissant sans réserve mes
               efforts afin d’y arriver.
               Et pourtant malgré tout mon bon vouloir, encore et toujours, les premiers nuages n’allaient
               pas tarder à s’amonceler. Fin 1990, des rumeurs commencèrent à circuler. Certains clients,
               bien informés, évoquaient la possibilité d’une guerre dans la région du Golfe, et d’une autre
               dans  la  poudrière  balkanique  régulièrement  ravagée  par  les  conflits.  Certains  anticipaient
               même la récession, imaginant que ces conflits pourraient déboucher sur une guerre mondiale.
               La  fréquentation  du  centre,  qui  avait  pourtant  bien  débuté,  se  mit  à  baisser.  Le  panorama
               général n’était de toute façon pas réjouissant : un restaurant du quartier, qui venait d’ouvrir,

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