Page 142 - ROLAND-GLORIA-DIANE-ET-MOI_Neat
P. 142

ferma  par  manque  de  trésorerie,  le  bowling  local  périclitait  dangereusement,  plusieurs
               exploitants pisciniers,  nombreux dans  la région,  firent  faillite. Dans  un effort  désespéré, je
               mettais les bouchées doubles, investissant tout ce que je recevais de Renato dans cette barque
               qui, inexorablement, prenait l’eau. Tout indiquait une fois de plus que l’affaire tournait à mon
               désavantage.  Cerise  sur  le  gâteau,  mon  ex-époux  avait  intenté  une  action  en  justice  pour
               m'empêcher  de  travailler  sous  mon  nom  de  femme  mariée,  que  pourtant  j’avais  eu
               l'autorisation  de  garder.  Une  facture  d'électricité  de  quelque  neuf  cents  francs  français  de
               l’époque avait fait basculer l’entreprise dans le rouge, les caisses étaient vides. Un matin, je
               constatai que le courant avait été coupé. Bien que remuant ciel et terre, je ne trouvai personne
               pour me prêter cette somme dérisoire, comparée à tout ce que j’avais investi dans mon projet.
               Et comme un malheur n’arrive jamais seul, Renato venait d’être hospitalisé pour une crise
               cardiaque. Mes acquis et petites économies fondaient à une vitesse fulgurante. Acculée, je pris
               rendez-vous avec mon banquier pour tenter de le faire fléchir, mais rien n’y fit. En deux ans à
               peine, mon rêve avait pris forme, connu son apothéose, puis s’était écroulé, au point que je me
               demandais cette fois très sérieusement si je ne me trouvais pas prisonnière, depuis des années,
               voire depuis le jour de ma naissance, de quelque mauvais sort.
               L’histoire  se  répétait,  encore  et  toujours.  Comme  je  l’avais  déjà  fait  au  Praz-de-Lys,
               j’accomplis  les mêmes gestes de purification, qui  allaient marquer la fin d’une illusion. Je
               nettoyai mes locaux, puis obstruai l’entrée avec un énorme bac à fleurs en béton, comme on
               murerait une tombe.
               Munie  des  clefs  du  centre,  je  me  rendis  à  ma  banque.  Excédée,  je  jetai  brusquement  le
               trousseau de clefs sur le bureau de mon banquier, puis, sans qu'il puisse placer un mot, je lui
               annonçai : « Je pars en vacances ! ». Sans doute eut-il la même expression d’incrédulité que
               Fabien lorsque je lui avais annoncé mon départ, peu après le saccage de la maison de St-Gy…
               Cet homme devait certainement s’attendre à me voir fondre en larmes, le supplier de m’aider
               à m’endetter encore bien davantage que je ne l’étais déjà. Il dut se demander s’il avait bien
               entendu,  si  vraiment  il  avait  bien  compris  que  sa  cliente  partait  en  vacances,  alors
               qu’apparemment elle n’avait en ces lieux plus un sou vaillant…
               Dans  les  jours  qui  suivirent,  le  20  juin  1991,  je  me  rendis  au  consulat  suisse  d'Annecy.
               Fatiguée, désenchantée, une fois de plus ruinée, je renonçai à ma nationalité française et à
               mon nom de femme mariée et me réappropriai mon nom de jeune fille inscrit sur un passeport
               rouge  à  croix  blanche  tout  neuf.  C'est  ainsi  que  cette  fois  et  pour  de  bon,  je  quittai
               définitivement la France, pays de mes rêves de jeunesse et de tous mes espoirs les plus fous.
               Je me libérais du même coup de toutes les attaches qui me restaient, de loin ou de près, avec
               cet homme, mon ex-mari qui avait été mon amour, mon espérance, cause de mes désespoirs,
               et qui pour finir était devenu le pire de mes ennemis.
               Allais-je pouvoir une fois encore me refaire, trouver la force de commencer, et quoi ? Malgré
               cela, sans arrière-pensée, sans regret, sans un frisson, je laissai derrière moi tous mes biens,
               mes illusions, mes rêves, mes effondrements, mes misères… mais aussi mes joies.



               Chapitre 22



               Ultime parenthèse marocaine

               Pour la quatrième fois, je me retrouvais dépouillée de tout. Mes acquis avaient été anéantis ;
               décidément,  le  mauvais  sort  aurait  toujours  le  dernier  mot !  Face  à  ce  destin  qui  ne  me



                                                                                                     142
   137   138   139   140   141   142   143   144   145   146   147