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vouloir de mes  reptiles. Je serais vêtue d’une tunique vaporeuse de voile blanc qui laisserait à
               peine apparaître mon corps nu, paré d’un petit cache-sexe pour la partie la plus intime de mon
               anatomie  non  encore,  et  de  loin,  rectifiée.  Mon  opulente  et  longue  chevelure  rousse
               complèterait l’attrait du personnage de déesse que j’étais censée représenter. Ce numéro, que
               je voulais totalement inédit, devait être propice aux fantasmes, à la sensualité, aux risques et à
               l’aventure.
               Mon travail finalisé, je fus immédiatement engagée après une audition sommaire au Cocotier,
               à Saint-Julien, ce même cabaret  où pour la première fois  de ma vie,  encore jeune garçon,
               j’avais découvert, émerveillé, un spectacle du Carrousel de Paris… J’allais enfin y faire mon
               entrée et cette fois-ci pour de bon en tant qu'artiste, avec un vrai et remarquable numéro ! Au
               faîte de sa splendeur, le cabaret avait fière allure. Dès l’entrée, les vestiaires étaient séparés de
               la  grande  salle  principale  par  des    tentures,  tout  en  dominantes  grenat :  ambiance  feutrée
               accentuée par les lumières tamisées. Passées les tentures de l’entrée, un bar tout en bambou,
               au style exotique, accueillait la clientèle. Face au bar se trouvait la piste entourée de tables et
               banquettes ;  dans  le  fond  de  la  grande  salle  un  podium,  sur  lequel  se  tenait  un  groupe  de
               plusieurs  musiciens  dont  une  chanteuse,  qui  permettait  aux  spectateurs  de  danser  entre  les
               deux spectacles. L’orchestre accompagnait aussi en direct le chanteur ou la chanteuse vedette
               du moment.
               Fin 1968, j’y présentai donc mon tout premier numéro, totalement original, sorti entièrement
               de mon imagination. Ma prestation durait une petite vingtaine de minutes et clôturait la soirée.
               Ce  numéro  de  danse  acrobatique,  exotique  de  par  son  décor  et  mes  reptiles,  avait  pour
               originalité  sa  chorégraphie  composée  de  ponts-arrière,  de  grands  écarts,  de  contorsions  en
               tous genres. Je me mouvais voluptueusement, en harmonie avec mes reptiles qui répondaient
               à mes gestes, s’y ralliaient et suivaient mon corps en mouvement, plein d’exultation.
               J’étais tellement fière que mon rêve ait enfin pris incontestablement forme que j’invitai ma
               mère à venir assister au spectacle. Eblouie par mon numéro et le succès qu’il rencontrait, elle
               vécut ce moment comme une libération. Elle se sentit soudain débarrassée d’une partie de ses
               peines, de ses angoisses, libérée de sa culpabilité de ne pas avoir su sentir, comprendre et
               accepter plus tôt mes désirs. Ce soir-là enfin, alors qu’elle avait si souvent cru son fils perdu à
               jamais, elle pouvait imaginer un possible avenir pour cet enfant, ce petit mâle que mon père

               lui avait commandé sous peine de mort, ce petit garçon qu’elle avait tant désiré, pour qui elle
               avait  imploré  Dieu  durant  toute  sa  grossesse  et  qui  jusque-là  ne  lui  avait  procuré  que  des
               tourments. Oui, ce soir-là, même si elle n’avait pas encore tout compris de ma métamorphose,
               elle se dit, apaisée et certainement consolée, que j’avais sans doute trouvé ma voie et que
               désormais un avenir possible s’ouvrait devant moi.
               Forte du succès obtenu au Cocotier, plus avide que jamais de nouveaux horizons, je décidai
               très vite de partir en tournée, débauchant Georges de son travail, une fois le Fer à Cheval
               fermé. Au faîte de mes 22 ans, jeune artiste professionnelle débutante encore dépourvue de
               permis  de  conduire,  j’avais  besoin  d’un  chauffeur  et  d’une  intendance  pour  mes  décors
               imposants,  qu’il  s’agissait  de  transporter  et  d’installer  sur  scène.  Georges,  dont  j’étais
               follement amoureuse, incarnait le partenaire idéal qu’il me fallait. Je me mis à la recherche
               d'impresarios, sollicitant des auditions à Paris et ailleurs. Immédiatement, mon numéro plut et
               les contrats suivirent. Mes premiers déplacements se firent en France, que nous traversâmes
               de long en large sur des milliers de kilomètres. Puis ce fut le Benelux. Un mois ici, un mois-
               là, avec la découverte, au fur et mesure des périples, de villes et de paysages riches et variés.
               Le beau Georges, au volant de sa Chevrolet Bel Air rouge et blanche, représentait pour moi la
               quintessence de l’Homme, dans toute la splendeur de sa virilité. Lui convoyait sa vedette, ses
               animaux,  son  matériel  et  ses  décors  avec  fierté.  Les  mises  en  scène  et  la  chorégraphie  se
               diversifiaient,  s’enrichissaient  de  nouveaux  numéros,  dont  celui  de  « la  veuve »,  objet  de

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