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étaient devenues des amies. Il me reste une photo de l’époque, prise à Cannes : celle d’une
               jeune  et  jolie  femme  à  la  coupe  de  cheveux  mi-longue,  comme  Sheila  dans  les  années
               soixante, rousse flamboyante, les yeux baissés  bordés  de longs cils,  les ongles peints  d’un
               vernis rouge parfaitement  entretenu,  tenant  d’un bras  Nouchka, mon  cocker femelle noir à
               poils longs et soyeux et de l’autre, un adorable petit lionceau que l’on prendrait presque pour
               une peluche. Nostalgie… nostalgie. Loin de moi l'idée de prétendre que  « tout était mieux
               avant » bien que... mais lorsque je regarde en arrière et que je pense avec humour, tendresse et
               un petit brin de romantisme, à cette période des années 60, il m’est impossible de ne pas avoir
               un petit pincement au cœur.



               Retour à Genève : le beau Georges entre en scène
               Je m’ennuyais, entre mon insatisfaction grandissante liée à mon oisiveté que je ne supportais
               plus, et l’inquiétude de Gilbert qui sentait confusément que son joli papillon encore chrysalide
               n’allait  pas  tarder  à  lui  échapper  à  nouveau.  Comme  à  Genève,  entre  nous  la  situation  se
               dégrada,  engendrant  de  mémorables  scènes  de  ménage.  Ces  scènes,  insidieusement,  me
               détachaient  de  l’amour  passionnel  et  inconditionnel  que  me  vouait  Gilbert.  C’est  ainsi
               qu’animée de sentiments mitigés, entre tristesse, amour, haine et passion, après quelques mois
               enchanteurs passés sur la Côte d’Azur, je décidai de faire un break entre lui et moi et regagnai
               Genève  après  une  nuit  passionnément  chaude,  comme  chacune  des  autres  avant  nos
               séparations.
               Pour retrouver ma famille, il fallut à nouveau que Peggy fasse mine d’être Roland, régression
               identitaire difficile pour moi et peu convaincante pour les miens, ma transformation étant très
               nettement précisée. J’avais vécu depuis de longs mois quotidiennement et continuellement en
               fille, aussi toute ma famille dut-elle, qu’elle le veuille ou non, obligée par les circonstances,
               prendre acte de mon changement physique, que désormais je ne quitterais jamais plus.
               A  Genève,  mes  sorties  nocturnes  avaient  repris  de  plus  belle.  Le  Bar  à  Whisky  était  mon
               quartier général ; son beau portier musclé, videur des lieux aux heures les plus chaudes de la
               nuit, ne me laissait pas indifférente. Georges, fils d’un peintre tessinois réputé, m’avait lui
               aussi à l’œil et  m’observait de près,  certains  soirs même  de très  près.  Mais  je n’avais  pas
               coupé complètement les ponts avec Gilbert, qui me téléphonait régulièrement. Un jour, au son
               de ma voix, il dut percevoir un certain malaise. Lâchant ses casseroles cuivrées, il débarqua à
               Genève comme à son habitude, sans prévenir.
               Avec la franchise qui me caractérisera toute ma vie, mon face à face avec Gilbert ne fut cette
               fois pas des plus joyeux : je lui exposai mon mal-être, mon ennui, mon impossibilité de vivre
               sous une emprise, quelle qu’elle fût, mon besoin impérieux de me réaliser dans la voie que je
               m’étais tracée et qui se précisait de plus en plus nettement. Elle était pour moi plus forte que
               tout.  Cette  nuit-là,  sans  ébats  d’aucune  sorte,  le  plus  sérieusement  du  monde,  je  rompis
               définitivement avec lui. Ce fut la dernière fois que je vis Gilbert.
               Cependant, même si je m’épanouissais, expérimentant ma nouvelle liberté jusqu’à plus soif,
               cette rupture que je savais irrévocable restait malgré tout une blessure dans mon cœur. Durant
               les premières semaines de séparation, cette blessure me déboussola, malmenant une fois de
               plus  mes  émotions,  accentuant  même  les  incertitudes  que  je  traversais  à  propos  de  mon
               identité.  Bien  plus  tard,  je  recueillis  de  Gilbert,  par  la  voix  d’amis,  quelques  froides
               informations dépourvues de contexte. Contre toute attente, je sus aussi par des amis communs
               qu’il était en couple avec un garçon. Puis, deux ou trois ans plus tard, j’appris sa mort. Peu
               avant sa disparition, il me fit passer un dernier message écrit dans lequel il me déclarait son
               amour indéfectible, son chagrin inconsolable, et m’implorait de le laisser me revoir. Hélas le
               rendez-vous, que j’avais accepté avec enthousiasme, n’eut jamais lieu…



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