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Peu de temps après ce rendez-vous manqué survint le décès de mon grand-père maternel, un
               bel homme compréhensif, bienveillant et protecteur, que j’adorais, contrairement à ma grand-
               mère,  qui,  elle,  intransigeante  et  autoritaire,  mit  beaucoup  plus  de  temps  à  accepter  et
               comprendre  mes  aspirations  et  mes  excentricités.  Charles,  mon  grand-père,  lui,  avait  bien
               senti ma différence et accepté ma trajectoire. Il était toujours serein, même après son terrible
               accident de chantier.  Il avait été pris au piège dans une roulotte en bois (abri pour ouvriers et
               matériel  du  chantier  public  pour  lequel  il  travaillait)  qui  prit  feu  après  l’explosion  d’une
               bonbonne  de  gaz.  Brûlé  au  troisième  degré  sur  plusieurs  parties  du  corps,  il  garda  de  cet
               épisode des séquelles à vie. Hospitalisé plusieurs mois, il endura de terribles souffrances. Lors
               d’une de mes visites, je le vis sur son lit de supplice, pansé de la tête aux pieds, enveloppé de
               bandages comme une momie. Peu avant que je le quitte, il me regarda en silence, longtemps,
               fixement. Dans ses yeux je pus lire beaucoup d’amour et d’affection, puis il me dit avec une
               infinie douceur : « Tu as de beaux cheveux, tu sais ! Fais de ta vie ce que bon te semble. »  Il
               avait tout compris de moi sans que l’on ait besoin de s’expliquer…
               Avec le beau Georges, mon nouveau soupirant 100% hétérosexuel, (ce que je n’ai jamais pu
               démentir tout au long de notre idylle,) portier et videur du Bar à Whisky, sans être encore
               opérée  de  mon  « inconvénient »,  j’étais  cependant  pour  la  première  fois  aimée,  traitée  et
               courtisée comme une vraie concubine. Cette étape décisive dans le processus complexe de ma
               mutation ne faisait que renforcer un peu plus ma détermination à devenir un jour une femme à
               part entière. Ma silhouette s’affinait, ma taille se galbait, ma poitrine s’affirmait. Le traitement
               hormonal se poursuivait, de plus en plus soutenu et médicalisé. Mineur pour quelques mois
               encore,  je  présentai  Georges  à  ma  mère  qui,  occasionnellement,  nous  hébergeait.  Dès  que
               j’eus  atteint  la  majorité  civile,  je  pus  enfin  emménager  avec  mon  amoureux  dans  un  petit
               studio à Carouge, un village en pleine ville qui jouxte Genève, dont il est séparé par la rivière
               de l’Arve, et qui fait partie de la République et Canton de Genève depuis 1816. Cette ville
               village est réputée pour son quartier du « vieux Carouge » avec ses bars, ses cafés et cabarets.
               Au  moment  de  notre  emménagement  à  Carouge,  Chantal,  la  fameuse  maîtresse  SM,  y
               pratiquait toujours son art. Elle fut d’ailleurs une cliente assidue du « Fer à Cheval », le bar
               que Georges et moi allions prendre en gérance les jours qui suivirent notre installation.



               Chapitre 4


               Le Fer à Cheval
               A Carouge, je fis la connaissance du patron du Café du Cinéma, un homme ouvert d’esprit,
               compatissant et charmant. Ce bistrot était assidûment fréquenté par mon beau Georges qui y
               passait le plus clair de son temps à jouer au poker. A l’arrière de cet établissement, au bout
               d'un  petit  couloir  plutôt  lugubre,  se  tenait  un  bar,  fermé  depuis  longtemps,  Le  Cabanon.
               Georges eut alors l'idée de le rouvrir avec l’intention de m’y installer, rebaptisant l’endroit Le
               Fer à Cheval en l’honneur de nos deux chevaux, Négus, un bel étalon à la robe brune et Deni-
               Hazade, une jument à la robe grise et noire, avec lesquels, dès que nous le pouvions, nous
               allions faire de folles chevauchées à travers bois et campagne tout proches.  Dès l’ouverture
               de ce bar, très vite fut attirée là une importante clientèle, fascinée par la créature d'un autre
               monde que l’on disait être un homme. Médusés, souvent les clients pariaient que si je n’étais
               pas une vraie femme, cette opulente et longue chevelure ne pouvait être autre chose qu’une
               perruque. Le beau Georges, joueur invétéré qui n’en loupait pas une, prenait les clients au
               mot,  rétorquant  :  « Si  ma  femme  ne  porte  pas  de  perruque,  vous  payez  une  bouteille  de
               champagne ! » Il me revenait alors de me faire passer la main dans les cheveux, pour prouver
               aux incrédules que cette chevelure, même s’ils n’en croyaient pas leurs yeux, était vraiment la
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