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incarnait pour moi (bien avant Le Muppet Show créé en 1976) la beauté et la grâce, je le dois
               à  une  sublime  barmaid  ainsi  baptisée,  personnage  emblématique  de  l’une  des  premières
               discothèques de Genève, Le Bar à Whisky, que j’avais fréquentée encore adolescent lors de
               mes premières escapades genevoises.
               Ayant laissé derrière moi sans trop de regrets l’ambiguë Gloria Paname, devenue Peggy, je ne
               quitterais quasiment plus mes vêtements féminins, investissant entièrement ma nouvelle vie,
               celle d’une jeune fille de 18 ans.
               A mon arrivée dans le sud de la France, le rose violacé des arbres de Judée qui se détachaient
               parfois  sur  des  ciels  lourds  et  orageux,  l’exubérance  des  genêts  et  des  mimosas  en  fleurs
               éclatant de leurs jaunes puissants et particuliers, les bougainvilliers rouge pourpre dégoulinant
               des  façades  des  maisons  provençales  et  toutes  ces  gammes  de  verts  tendres  et  puissants
               m’émerveillaient.  Fascinée,  je  regardais  défiler  ces  tableaux  de  natures  vivantes  colorées
               qu’accentuait la luminosité puissante, presque blanche et scintillante, du Midi. Les senteurs
               des pinèdes, du thym, et le chant des cigales exaltaient mon corps comme mon âme ; toute la
               poésie des mas provençaux m’emportait dans  une symphonie de bien-être et de jubilation.
               Après avoir quitté ma petite chambre parisienne moisie et le fameux cabaret qui avait fait son
               temps, laissé derrière moi la faune interlope dont j’avais pris congé, je savourais ce contraste
               qui présageait une vraie régénération et un nouvel avenir enrichissant.
               Gilbert et moi emménageâmes dans une très jolie villa à Vallauris, cité des verriers d’art et de
               l’acteur  Jean  Marais,  nichée  sur  une  colline  des  Alpes-Maritimes,  près  d’Antibes.  Gilbert
               exultait, fier de sa reconquête, plus amoureux que jamais de sa Peggy vêtue en élégante, dans
               la  splendeur  de  ses  dix-huit  printemps :  tailleur  blanc  et  chemisier,  escarpins  à  talons,
               maquillage discret, cheveux mi-longs d’un roux flamboyant, coupés au carré et à la frange
               épaisse. Une parfaite illusion pour notre entourage qui ne se doutait de rien…
               En pleine évolution vers une nouvelle identité, je découvrais Saint-Paul de Vence avec ses
               ruelles  en  pente  pleines  de  charme,  ses  façades  décorées,  ses  mille  et  une  boutiques
               attrayantes. Un jour, alors que Gilbert travaillait et que je musardais sur la place Charles de
               Gaulle  (aussi  appelée  Place  du  Jeu  de  Boules),  je  déclenchai  sur  mon  passage  un  sifflet
               admiratif. Gênée, à la limite de l’indignation, je glissai un œil à la dérobée et en reconnus
               étonnée - mais finalement ravie - l’auteur, qui n’était autre qu’Yves Montand. Continuant ma
               flânerie comme si rien ne s’était passé, quelques mètres plus loin, par le porche ouvert sur la
               grande terrasse attenante au mas de la Colombe d’Or, j’aperçus, assise à une table proche de
               l’entrée sur laquelle une bouteille de Johnnie Walker à l’étiquette noire lui tenait compagnie,
               Simone Signoret qui me regarda passer, l’air un peu vague et nostalgique. La quarantaine bien
               entamée, le visage déjà marqué, sans doute usée par son existence passionnée et les incartades
               de son compagnon volage, elle considérait la jeune créature que j’étais avec curiosité et une
               certaine insistance. M'avait-elle démasquée ? Son regard dans le mien, elle esquissa un sourire
               bienveillant,  sourire  qui  se  mua  presque  aussitôt  en  une  expression  d’une  indéfinissable
               tristesse  dans  laquelle  je  décelai  une  infinie  solitude.  L’instant  fut  éphémère  mais  très
               intense ; il restera gravé à jamais dans ma mémoire. Malgré mon envie d'approcher de plus
               près  pour  la  saluer  cette  femme,  star  que  je  vénérais,  je  laissai  passer  l’occasion  de  lui
               adresser la parole. Je ne la revis jamais en vrai, me contentant de l’admirer sur grand écran.



               S’échapper de sa cage dorée
               Gilbert excellait dans son art, chargé d’une responsabilité qui l’absorbait complètement. Entre
               Vallauris et Saint-Paul de Vence, j’étais entretenue et vêtue comme une princesse et menais
               de mon côté une existence presque dorée. Je sortais chaque soir en boîte, découvrant tous les
               bars  « branchés »  de  Cannes  et  les  autres  charmes  de  la  ville,  souvent  émerveillée  par  les
               beautés transsexuelles qui proposaient leurs charmes sur la Croisette et qui, pour certaines,

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