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mienne. Et les affaires florissaient de plus  belle. Mais  voilà : presque aussitôt gagnée, une
               grande  partie  de  la  somme  était  rapidement  dépensée  par  Georges,  joueur  endurci
               décidément impénitent.
               Un peu avant mai 68, une personne homologuée de sexe masculin par l’état civil n’avait pas
               le  droit  de  se  vêtir  en  femme.  Le  bar  était  donc  souvent  la  proie  de  débarquements  de
               policiers, qui m’ordonnaient de me mettre en pantalon et de cacher mes cheveux sous une
               casquette, sous peine d'amende et autres représailles. Dès que la police avait tourné les talons,
               je me débarrassais de ces accessoires jusqu’à la prochaine descente. La clientèle, loin d’être
               rebutée par ces diversions qui ne faisaient qu’ancrer la renommée de l’endroit, affluait, de
               plus  en  plus  nombreuse,  ce  qui  permettait  à  notre  couple  atypique  de  vivre  sans  trop  de
               difficultés, même entre les pertes et les gains de jeux de mon indécrottable amoureux.
               « Sous  les  pavés  la  plage,  il  est  interdit  d’interdire,  l’imagination  au  pouvoir… »
               Parallèlement à ma révolution identitaire individuelle se déroulait, à coups de barricades, de
               violences  et  d’occupation  de  locaux,  la  révolution  de  mai  68,  dont  les  femmes  sortiraient
               grandes gagnantes, seul acquis, selon moi, de ces turpitudes qui en laisseraient beaucoup sur
               le  pavé.  Je  me  suis  toujours  positionnée  contre  ces  phénomènes  collectifs,  associations  et
               communautés de toutes sortes, estimant qu’elles sabotent souvent ce qu’elles seraient censées
               promouvoir.  Individualiste  me  démarquant  du  groupe,  c’est  en  solitaire  que  tour  à  tour
               Roland,  Gloria,  Peggy  puis  Diane,  j’accomplirais  ma  trajectoire  unique,  qui  comprend
               plusieurs vies.



               L’inspiration prend forme

               Au  Cabanon,  rebaptisé  par  Georges  le  Fer  à  Cheval,  j’avais  sympathisé  avec  Gérard,  un
               jeune homme chargé de la maintenance d’un vivarium près de Genève. Mon aspiration à faire
               du spectacle mon métier me tenaillait de plus en plus, au point d’être devenue une obsession.
               J’avais en effet toujours été attirée par la faune sauvage, les reptiles en particulier. C’est alors
               que, quand Gérard m’emmena pour une visite privée au vivarium qu’il dirigeait, je tombai en
               amour avec toute cette faune reptilienne qui me passionna immédiatement. Ce jour-là, ce fut
               pour moi une évidence, une révélation : j’eus tout de suite l’idée que je pourrais monter un
               spectacle  avec  des  reptiles.  Dans  la  foulée  de  la  visite,  j’en  fis  part  à  Gérard  qui  fut
               instantanément conquis par mon idée. C’est donc par son truchement que je me procurai mes
               deux boas et un python réticulé qu’il m’offrit gracieusement et sans aucune contrepartie, c’est
               avec  lui  que  je  m’y  habituai  et  appris  à  les  manipuler  correctement.  Ils  seraient  les  futurs
               éléments-clés de mes spectacles qui n'allaient pas tarder à prendre forme, et feraient naître
               « Diane, la fascinante déesse aux reptiles ». Pour monter, chorégraphier et mettre en place ce
               show, totalement original, j’avais déniché dans le quartier une petite salle dans laquelle se
               donnaient des cours de danse et d’autres petits spectacles pour enfants. Les jours où la salle
               était libre, j’y peaufinais durant des heures mon numéro avec méthode, exigence et fantaisie,
               savourant l’autonomie de création dont je jouissais avec une immense satisfaction.
               Le numéro nécessitait un décor imposant qui devait intégrer mes bagages, et qu’il faudrait
               déplacer et emporter de tournée en tournée. Le show se déroulerait sur arrière-fond de décor
               impressionnant que j’avais imaginé en contreplaqué, démontable, et qui représentait le visage
               d’un dieu reptilien imaginaire. Visage aux grands yeux en croissants, incurvés vers le bas. Sur
               le front de cette figure fantasmagorique coiffée d’une couronne pailletée, une série de petits
               reptiles entrecroisés, peints en trompe-l'œil, lui donnait un aspect encore plus mystérieux. De
               la bouche béante de ce mystérieux faciès sortiraient mes reptiles que j’enlacerais, entamant
               avec eux une danse énigmatique et sensuelle. Ce corps-à-corps intime et acrobatique – j’étais
               aguerrie par mes quelques années de danse – s’adapterait aux ondulations, aux facéties et bon

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