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mon acte de naissance sur lequel on pouvait encore lire « né de sexe masculin » en celle,
légitime, de « née de sexe féminin ».
Présentant extérieurement un calme olympien, ce qui n’était et de loin pas mon état intérieur,
je répondis aux diverses questions que me posa le président. Curieusement, au début, je ne me
suis souvenue qu’à peine de cet interlocuteur, pourtant si important, qui devait changer, pour
le bien ou pour le pire, le cours de ma vie. Là encore, la chance m’avait fait une fleur ; dans
mes souvenirs flous, je me rappelle quand même avoir eu en face de moi un aristocrate de la
Côte, subtil, s’exprimant avec douceur, sérénité et mesure, rompu à une courtoisie qui me
mettait à l’aise. Après la rédaction de mon autobiographie, j’ai pu le recontacter et lui offrir
mon livre, ce qui m’a permis de me le remémorer très exactement. Cet homme à la stature
dégagée, au maintien très droit sans être rigide, à la chevelure et barbe noires encadrant un
visage agréable et avenant, aux yeux d’un bleu-vert limpide comme un ruisseau de montagne,
avec le recul et photos à l’appui, je le revois aujourd’hui très précisément.
Mon avocat parla peu. Aujourd’hui, les détails de l’audience se sont estompés mais un instant
décisif m’a marquée. A un moment donné, un homme assis dans la salle se leva et demanda
au président : « Pensez-vous que la personne qui est devant vous pourrait porter atteinte à
l’ordre public ? » A quoi le président répondit par un NON fracassant.
L’audience fut levée afin de permettre au tribunal de statuer. Le jugement serait communiqué
aux parties. L’huissier me raccompagna à la porte ; je me sentais fébrile, dans un état second
d’extrême tension.
Quelques temps après, mon avocat me communiqua l’issue favorable rencontrée par ma
requête. Dans son jugement, le président relevait qu’« une personne non avertie est
parfaitement incapable de réaliser que le requérant, qui se présente comme une jeune femme
élégante et réservée, peut avoir été autre chose qu’un individu de sexe féminin. »
Avant lui, un psychiatre avait écrit dans un rapport : « …les tendances féminines de celui-ci
ont toujours paru aux observateurs si manifestes, si indéracinables et faisant à ce point partie
d’une structure rigide et bien organisée, qu’aucun traitement psychothérapeutique tendant à
ramener celui-ci à une polarisation hétérosexuelle n’a même été envisagé. »
Cette audience historique, qui se déroula dans un château dont les fondations remontent au
XIIe siècle, tint lieu d’oraison funèbre à Roland, éphèbe ardent, rebelle et tourmenté, enterré
sans sépulture, de manière très solennelle mais néanmoins immatérielle. Peggy était née…
gardant en elle tous les personnages qui l’avaient habitée de sa naissance à ce jour.
Définitivement libérée du carcan de mon identité masculine, j’allais pourquoi pas, si je
retrouvais l’amour, pouvoir me marier.
J’entamai désormais une période de ma vie totalement différente, mais qui, décidément
inscrite dans mon destin, ne serait guère plus calme que celle qui avait précédé.
Chapitre 12
19
Bernard et son amour fatal
Mon changement d’état civil accepté, le procès derrière moi, libérée de ce poids après tous ces
remous, je continuais à travailler, plus libre, plus naturelle, plus heureuse que je ne l’avais
jamais été, certains de mes clients étant toujours plus fidèles, attentionnés et généreux à mon
19 Pour des raisons de protection de la personnalité, le prénom a été modifié.
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