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Chapitre 11



               Changement d’état civil
               « Le sexe d’une personne est une caractéristique que l’être humain acquiert à sa naissance et
               qui ne se modifie en principe pas. » Extrait du jugement de 1975, tribunal du district de Nyon,
               canton de Vaud.
               Dans  l’adversité  où  je  me  débattais,  j’avais  trouvé,  bien  avant  mon  opération,  un  allié
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               inespéré : le syndic  de Nyon, un gros bonhomme bourru, pourtant peu apprécié par ses pairs,
               mais qui me badait avec complaisance et même un brin d’admiration. J’étais donc allée le
               trouver en 1969 pour lui faire une demande peu commune. Le jour du rendez-vous, je lui dis :
               « Regardez-moi bien ! Trouvez-vous que j’aie l’air d’un garçon ? » Devant la créature qui se
               trouvait face à lui, belle comme un cœur et flamboyante, dont la chevelure rousse ondoyait, il
               était  resté  médusé.  Au  pays  du  compromis,  nous  trouvâmes  un  arrangement.  Sur  mon
               passeport serait désormais indiqué : « Roland Guex, dit Peggy, artiste de cabaret ». Ainsi, je
               pus passer plus facilement les frontières - à l’époque, je voyageais beaucoup - sans provoquer
               trop de troubles, ni rencontrer trop de tracas. En effet, c’était l’inadéquation entre mon identité
               physique et mon état civil qui avait de quoi perturber l’ordre public.
               Juste après mon intervention chirurgicale, à mon retour d’Amsterdam à Genève, j’avais lancé
               la procédure de changement d’état civil que beaucoup pensaient être peine perdue.
               La justice était en marche.
                Maître  Andrieu,  l’avocat  que  j’avais  choisi,  s’enthousiasmait  beaucoup  pour  ce  dossier
               particulier. Cet homme grand, assez corpulent, qui en imposait par son allure et sa notoriété,
               ne pouvait qu’être perméable à mon parcours pour le moins audacieux dont, par la force des
               choses,  il  connaissait  le  détail.  Homosexuel  à  la  sensibilité  acérée,  il  fit  de  cette  cause  en
               quelque  sorte  son  flambeau.  S’il  menait  à  bien  cette  requête,  il  assoirait  par  là  même
               définitivement sa réputation de défenseur des minorités de l’époque (pas aussi importantes et
               diversifiées qu’aujourd’hui). En fin limier, il flairait le succès…
               Aujourd’hui  disparu,  il  animait  l’une  des  études  prestigieuses  de  la  ville :  sensible  et
               complice, il représentait pour l’affaire qui me concernait le porte-parole idéal. Mais, du fait du
               caractère  cantonal  de  la  procédure  et  des  autorisations,  cet  initié  ne  put  plaider  devant  le
               tribunal de Nyon. Un confrère vaudois, Maître André Vallotton, officia donc en lieu et place.
               Mes avocats m’avaient vivement conseillé une absolue discrétion avec la presse avant la fin
               du  procès.  Peine  perdue,  la  machine  était  lancée.  Les  manchettes  de  journaux
               aguicheuses, placardées un peu partout, faisaient leurs choux gras avec de grands titres tels
               que : « Un Vaudois change de sexe », « Un jeune homme devient une femme », et des articles
               en veux-tu en voilà, dont  un spécialement croustillant du fameux Blick, fondé à Zurich en
               1959, journal fréquemment critiqué en raison de l'importance qu'il accordait aux accidents,
               aux crimes et au sexe.
               Ces  journaux  à  sensations  peu  regardants  sur  la  déontologie  qui  évoquaient  mon  affaire
               n’hésitaient pas à illustrer leurs articles avec des photos de starlettes pêchées ici ou là, censées
               être moi… alors que je n’avais donné, en accord avec mes avocats, qu’une seule et unique



               18  Terme par lequel on désigne le maire dans le canton de Vaud.

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