Page 95 - ROLAND-GLORIA-DIANE-ET-MOI_Neat
P. 95
Chapitre 11
Changement d’état civil
« Le sexe d’une personne est une caractéristique que l’être humain acquiert à sa naissance et
qui ne se modifie en principe pas. » Extrait du jugement de 1975, tribunal du district de Nyon,
canton de Vaud.
Dans l’adversité où je me débattais, j’avais trouvé, bien avant mon opération, un allié
18
inespéré : le syndic de Nyon, un gros bonhomme bourru, pourtant peu apprécié par ses pairs,
mais qui me badait avec complaisance et même un brin d’admiration. J’étais donc allée le
trouver en 1969 pour lui faire une demande peu commune. Le jour du rendez-vous, je lui dis :
« Regardez-moi bien ! Trouvez-vous que j’aie l’air d’un garçon ? » Devant la créature qui se
trouvait face à lui, belle comme un cœur et flamboyante, dont la chevelure rousse ondoyait, il
était resté médusé. Au pays du compromis, nous trouvâmes un arrangement. Sur mon
passeport serait désormais indiqué : « Roland Guex, dit Peggy, artiste de cabaret ». Ainsi, je
pus passer plus facilement les frontières - à l’époque, je voyageais beaucoup - sans provoquer
trop de troubles, ni rencontrer trop de tracas. En effet, c’était l’inadéquation entre mon identité
physique et mon état civil qui avait de quoi perturber l’ordre public.
Juste après mon intervention chirurgicale, à mon retour d’Amsterdam à Genève, j’avais lancé
la procédure de changement d’état civil que beaucoup pensaient être peine perdue.
La justice était en marche.
Maître Andrieu, l’avocat que j’avais choisi, s’enthousiasmait beaucoup pour ce dossier
particulier. Cet homme grand, assez corpulent, qui en imposait par son allure et sa notoriété,
ne pouvait qu’être perméable à mon parcours pour le moins audacieux dont, par la force des
choses, il connaissait le détail. Homosexuel à la sensibilité acérée, il fit de cette cause en
quelque sorte son flambeau. S’il menait à bien cette requête, il assoirait par là même
définitivement sa réputation de défenseur des minorités de l’époque (pas aussi importantes et
diversifiées qu’aujourd’hui). En fin limier, il flairait le succès…
Aujourd’hui disparu, il animait l’une des études prestigieuses de la ville : sensible et
complice, il représentait pour l’affaire qui me concernait le porte-parole idéal. Mais, du fait du
caractère cantonal de la procédure et des autorisations, cet initié ne put plaider devant le
tribunal de Nyon. Un confrère vaudois, Maître André Vallotton, officia donc en lieu et place.
Mes avocats m’avaient vivement conseillé une absolue discrétion avec la presse avant la fin
du procès. Peine perdue, la machine était lancée. Les manchettes de journaux
aguicheuses, placardées un peu partout, faisaient leurs choux gras avec de grands titres tels
que : « Un Vaudois change de sexe », « Un jeune homme devient une femme », et des articles
en veux-tu en voilà, dont un spécialement croustillant du fameux Blick, fondé à Zurich en
1959, journal fréquemment critiqué en raison de l'importance qu'il accordait aux accidents,
aux crimes et au sexe.
Ces journaux à sensations peu regardants sur la déontologie qui évoquaient mon affaire
n’hésitaient pas à illustrer leurs articles avec des photos de starlettes pêchées ici ou là, censées
être moi… alors que je n’avais donné, en accord avec mes avocats, qu’une seule et unique
18 Terme par lequel on désigne le maire dans le canton de Vaud.
95