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annonce les catastrophes. Brusquement, il m’empoignait et me jetait avec violence hors du
taxi en marche et roulant-boulant, j’atterrissais brutalement sur la chaussée, mon corps
complètement désarticulé, tel un pantin. Je me réveillais alors difficilement, bouleversée,
angoissée, en sueur, le cœur palpitant à tout rompre.
Chapitre 10
Cassure et chute
Quelquefois j’allais et venais, invitée à rejoindre un client ici ou là dans une ville ou une
autre, activité que je ne pratiquais qu’exceptionnellement pour des clients déjà rencontrés au
studio. Un jour, rentrant chez moi plus tôt que prévu après un rendez-vous qui n’avait pas eu
lieu, je reçus en pleine face, comme un bol d’acide, la brûlure de la trahison. Je trouvai Harry
batifolant dans notre propre lit avec un beau garçon au corps de statue grecque. Le contrat
était rompu. Jusque-là, je m’étais montrée très philosophe et permissive sur les virées
nocturnes, les fréquentations et les incartades de mon compagnon, mais je n’entendais pas
voir le territoire de mon intimité souillé par une présence étrangère quelle qu'elle soit, de son
côté comme du mien. Très froidement, j’invitai manu militari l’intrus à prendre la poudre
d'escampette, puis, sous le coup du choc, je m’en pris à Harry, lui disant clairement, sur un
ton ferme et sans équivoque : « Demain, tu n’es plus là, je ne veux plus te voir ici ! »
Sûr de son charme, ne réalisant pas que le sortilège dont j’avais été possédée depuis nos
débuts amoureux venait de se délier, mon mentor déchu ne prit pas immédiatement la mesure
de ma détermination. Lorsque le lendemain matin je l’invitai à déloger, il ne perdit toutefois
pas le nord, mettant une condition et pas des moindres à son départ précipité. Le jour même, il
embarquait tout, absolument tout : mes deux reptiles qui étaient restés avec moi, Jeko &
Tokaye, pour lesquels j’avais une affection toute particulière, les costumes et accessoires de
mes spectacles, reliques scintillantes de mon passé auxquelles, allez savoir pourquoi, je tenais
encore mais surtout, le compte en banque bien fourni qu’il avait toujours eu à son nom, et que
j’avais fait fructifier depuis que j’exerçais ma nouvelle profession de courtisane. Quand je
voulus protester, il eut sous l’effet de la rage cette parole historique et peu courtoise, lapidaire
et meurtrière, qu’il me lança froidement : « Tu as un trou, moi pas : tu auras tout loisir de te
refaire ! » Financier averti, Harry, même s’il avait su parfois se montrer romantique et
gentleman, n’était plus ce jour-là à mes yeux, après sa phrase assassine, qu’un primitif
flibustier ! Il quitta les lieux, vert de rage, emportant avec lui le magot et une montagne de
bagages pour se rendre, faute de mieux, en Hollande où vivait et vit toujours une importante
diaspora juive au sein de laquelle il avait quelques contacts et amis proches. Je l’accompagnai
tout de même à l’aéroport : tout au long du trajet, pas un mot, pas un regard croisé, ni de sa
part ni de la mienne. Nous avions des têtes d'enterrement, comme si nous emmenions un mort
à son ensevelissement. A l’aéroport, après l’enregistrement des ses nombreux bagages, ce
furent des adieux distants. Je vis Harry de dos passer la porte du contrôle douanier sans se
retourner, puis il se perdit dans la foule. Je rentrai chez moi le cœur lourd, en larmes,
comprenant qu’un autre pan de ma vie se refermait sur un terrible échec amoureux.
Deux mois plus tard, j’apprendrais avec une grande tristesse la mort de mes deux reptiles
préférés, Jeko & Tokaye, qu’Harry avait emportés en pleine vitalité, qui avec moi, j’en suis
certaine, auraient connu la longévité propre à leur espèce. De quoi étaient-ils morts ? Je ne le
saurai jamais.
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