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Chapitre 8
Nouvelles recherches et opération
Le souci de l’intervention médicale restait donc entier. Même si la première opération de
changement de sexe, réalisée en Allemagne, datait de 1931, cet acte restait encore, dans les
années soixante-dix, relativement expérimental, surtout bien moins règlementé
qu’aujourd’hui. Aucune stérilisation hormonale n’intervenait, les protocoles étaient flottants,
voire inexistants. Les tabous et résistances entourant cette contrainte à la métamorphose, cette
« dysphorie de genre » n’y étaient sans doute pas pour rien. Le transsexualisme a été très
longtemps considéré comme un trouble mental, de la catégorie des troubles de l’identité
sexuelle ou de l’identité de genre, en fonction des classifications médicales de référence. Le
positionnement de la société face au transsexualisme n’évolue de toute façon qu’avec une
infinie lenteur. Il a fallu attendre février 2010 pour que la France, premier pays au monde à le
faire, ne considère plus le transsexualisme comme une maladie mentale. Ce changement, qui
représente incontestablement une avancée sur le plan des mentalités, pose toutefois un
problème pratique aux conséquences possiblement dramatiques : la Sécurité sociale ne
remboursera probablement plus les frais engendrés par ce parcours qui concerne pourtant des
milliers de personnes.
De retour en Europe, je repartis en tournée. Assez rapidement, Harry me trouva un second
chirurgien susceptible de pratiquer la fameuse opération tant attendue. C'est en Hollande, plus
précisément à Amsterdam, qu'il dénicha cette perle rare, un certain Lamarker, jeune médecin
homosexuel, professeur depuis peu. Ce chirurgien plasticien allait pratiquer sur moi sa
première vaginoplastie, nom barbare qui désigne l'opération consistant à transformer un
appareil génital masculin en « néo-vagin ». Un peu avant l'opération, je pus constater
l'extraordinaire travail de reconstruction qu’avait déjà accompli ce jeune prodige du bistouri
sur des visages et des corps de grands brûlés. Je pus aussi admirer son formidable travail de
reconstruction mammaire sur des femmes à la poitrine ravagée par un cancer du sein.
L'opération aurait lieu à Amsterdam, dans une clinique implantée au centre d'un magnifique
parc arboré. Malgré l’inexpérience de ce chirurgien face à ce type d’opération, tant la qualité
de notre contact que mon intuition m’incitèrent à lui faire entièrement confiance.
En accord avec mon compagnon et le médecin, que je vis plusieurs fois, l’examen
psychiatrique obligatoire fut pratiqué. Il conclut que ma demande ne reposait pas sur une
homosexualité mal vécue ni sur un travestisme ou fétichisme quelconque ; le jour de
l’opération fut alors arrêté. Il fallait encore que cette décision cruciale intègre mon monde
intérieur. Quelques jours avant le grand saut, des cauchemars hantèrent mes nuits. Castration
aux ciseaux sans anesthésie, sexe mutilé à l’huile bouillante, me laissant hallucinée d'horreur
et de douleurs imaginaires, sexe arraché à mains nues... Je voyais disparaître dans ces
cauchemars, au prix d'une violence incroyable, l’appendice masculin que je maudissais et qui
laissait jaillir entre mes jambes des torrents de sang. Toutefois, malgré ces mauvais rêves,
quoi qu'il puisse arriver, ma détermination à assumer ma renaissance était intacte. Mon
psychisme en revanche, mis à rude épreuve, bouillonnait.
C’est par une stratégie d’évitement et de vide qu’Harry, évanescent et volatil la semaine qui
précéda l’acte décisif, exprima toute son appréhension. C’est comme cela que, le samedi 30
juin 1973, il me laissa partir sans lui affronter ma destinée. C’est donc seule qu’à l'aurore du
jour le plus important de ma vie, dans la ville encore endormie, avec la dignité dont j’étais
capable, toute la clarté de ma conscience et l’intensité de ma volonté, j’allai faire face à la
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