Page 90 - ROLAND-GLORIA-DIANE-ET-MOI_Neat
P. 90

Convalescente, j’eus la joie d’accueillir les parents de mon compagnon, venus d’Israël. Ces
                     16
               Sabra , à la fois très cultivés et à cheval sur les rites juifs, détonnaient à côté de ma mère et
               de mon beau-père. Lors de leur séjour à Genève, il fut même question de mariage.
               Au début de nos premiers rapports sexuels, je ne ressentais à la pénétration pas le moindre
               plaisir, tout au plus de la douleur. Etait-ce là l’aboutissement de toutes ces années d’espoir, de
               recherches, le résultat d’un déploiement d’énergie qui avait conditionné toute mon existence ?
               Petit à petit, de manière d’abord timide, voire facétieuse, le désir me désigna le chemin d’une
               jouissance  plutôt  frustrante,  presque  agaçante  car  j’en  restais  aux  confins,  sans  parvenir  à
               l’embrasement de l’orgasme libérateur que j’espérais tant.
               M’étant  complètement  approprié  ma  nouvelle  identité  définitive  depuis  quelque  six  mois,
               j’accédai  enfin  un  jour,  oh  miracle,  triomphalement,  au  paradis  de  la  jouissance.  Je  vécus
               alors  des  nuits  d’amour  à  la  fois  sauvages,  tendres,  complètes,  instants  de  complicité  et
               d’Amour jamais encore autant abouti, qui révélait à Harry une nouvelle forme d’attachement.
               Il inaugurait désormais un registre expérimental dans lequel il ne menait plus forcément la
               danse. Une apothéose de volupté me propulsa dans un nouveau monde. La porte interdite était
               franchie et le triomphe, total.



               Chapitre 9



               Fin d’une époque
               Les spectacles et tournées avaient repris, mais de plus en plus, l’industrie du sexe dictait sa
               loi. Les pressions pour m’inciter à me dénuder intégralement, à me présenter en salle comme
               une  hôtesse  à  l’affût  d’un  client  prêt  à  se  faire  pigeonner,  devenaient  très  insistantes.  La
               vulgarité  prenait  ses  quartiers ;  les  petites  cabines  où  l’on  se  retire  pour  quelques  instants
               furtifs avec des messieurs concupiscents faisaient leur apparition. Les belles étaient invitées à
               verser  discrètement  sur  la  moquette  le  champagne  payé  à  prix  d’or  par  des  clients  qui
               exigeaient des contreparties en nature. A contrecœur, le plus modérément possible, je sacrifiai
               un  temps  à  ces  usages  qui  me  répugnaient.  Les  laquais  à  gants  blancs,  les  invitations
               courtoises  appartenaient  désormais  à  un  autre  âge.  L’ambiance  des  cabarets  que  j’avais
               connus, pas encore tous complètement reconvertis en discothèques, se transformait de façon
               flagrante en celle de bordels ordinaires, vulgaires, bas de gamme, totalement dépourvus de
               savoir- vivre, de respect comme de panache. La distinction, la magie et la flamboyance de ces
               lieux  en  pleine  mutation  disparaissait  rapidement.  Je  ressentais  clairement  la  fin  d’une
               époque. Evoluant dans des milieux, des lieux, des bouges souvent sordides qui désormais me
               rebutaient, je n’avais plus le cœur ni la fougue ni la passion que j’avais montrés jusque-là
               pour  ce  métier  d’artiste  de  seconde  zone  qui,  pourtant,  m’avait  apporté  une  certaine
               reconnaissance et parfois beaucoup de plaisir.
               Déjà, je lorgnais vers mon changement d’état civil, consécration juridique d’un parcours du
               combattant dont je comptais bien sortir victorieuse.
               Alors qu’un jour un patron de cabaret me pressait de me faire plus docile, plus complaisante
               avec les clients, je lançai cette répartie que certaines filles considérèrent  comme théâtrale :
               « Si  vous  cherchez  une  artiste,  je  suis  là ;  si  vous  voulez  une  putain,  je  ne  le  serai
               certainement pas pour vous mais pour mon propre compte ! » Par conséquent, un an à peine
               après  mon  opération,  de  façon  très  abrupte  et  sans  véritable  remords,  juste  un  peu  de
               nostalgie, j’abandonnai définitivement derrière moi six ans de vie artistique trépidante faite de

               16  Un Sabra est un Juif né en Israël ou dans le territoire devenu Israël, issu d'une famille établie en ces lieux
               depuis plusieurs générations.
                                                                                                       90
   85   86   87   88   89   90   91   92   93   94   95