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polyvalent marquera l’une des périodes les plus tumultueuses de ma vie. Quand je le vis sur
scène pour la première fois, il me subjugua tellement que je fus frappée d’un terrifiant coup de
foudre. Ce garçon, pas véritablement beau mais indescriptiblement particulier, dégageait un
charisme incroyable. A peine plus âgé que moi, Harry arborait une abondante chevelure de
jais à la coupe mi longue, typique des années 70, aussi noire que l’était son bouc qui encadrait
une bouche pulpeuse. Son regard d’hidalgo, puissant, pénétrant, aux prunelles tout aussi
noires que ses cheveux et sa barbichette, me faisait chavirer. Son corps hâlé, admirablement
sculpté, appelait à des rêveries érotiques, et je n’étais pas la seule à y succomber...
Complètement hypnotisée par Harry, je ne voyais plus que lui, ne parlais plus que de lui. Mon
entourage voulut me mettre en garde sur la personnalité de celui qui avait si soudainement
touché, enflammé mon cœur jusqu’à lui faire battre la chamade. « Ma pauvre fille, me disait-
on, tu n’as aucune chance… ce garçon est cent pour cent homosexuel ; il ne te prêtera jamais
la moindre attention, c’est peine perdue d’imaginer pouvoir le séduire, il vaut mieux pour toi
que tu laisses tomber ! »
Mais faisant fi des éventuelles difficultés qui m’attendaient, je m’évertuai à toucher le cœur
du beau danseur, pari qui n’était pas gagné d’avance. N’écoutant que moi-même, je partis en
croisade, remplie d’espoir et de certitudes pour une conquête qui s’annonçait aussi osée
qu’hasardeuse. Mon contrat au Maxim’S allant prendre fin, je savais mon temps compté pour
charmer le bel hidalgo et capter son attention. Il était en outre presque toujours escorté de sa
petite troupe de jeunes et jolies filles qui me faisait systématiquement barrage. Restait en plus
le pire, un bastion à vaincre : son ami, un Allemand toujours collé à lui, qu’Harry venait de
rencontrer récemment lors d’une tournée en Allemagne. Pourtant, après un mois de siège
assidu, considéré par certains comme de l’acharnement, mue par un élan amoureux
incontrôlable qui décuplait mon emportement et n’écoutant que mon cœur, je réussis à faire
tomber la citadelle. Arrivée à mes fins, éprise de cet homme jusqu’à la déraison, je ne
disposais plus du recul nécessaire pour percevoir la réalité des véritables sentiments qu’Harry
éprouvait pour moi. Ce que je savais, c’est qu’il était homosexuel, qu’il me tromperait
immanquablement avec des garçons ; mais avec la passion amoureuse que j’éprouvais, j’étais
prête à l’accepter.
Dès le début de notre relation, je lui accordai une confiance sans limites, dont en quelque
sorte j’allais faire les frais et payer chèrement le prix. Alors que j’étais éperdue d’amour pour
cet homme tel qu’il était, Harry, lui, vit en moi dans un premier temps un potentiel
artistiquement lucratif. Jouant de mes sentiments pour faire de moi sa chose, il se mua
rapidement en pygmalion : celui de la femme que j’allais devenir.
Estimant que ma féminité n’était pas encore complètement à son apogée, me trouvant trop
sage et même un peu trop rétro, il décida, dès les premières semaines de notre vie commune,
de me façonner à son image, son obsession étant de me transformer en une bombe sexuelle
explosive. Il faut dire que l’époque s’y prêtait. Mai 68 avait débridé les mœurs. Très vite,
Harry me convainquit de me faire sculpter une poitrine à la Raquel Welch, ce que j’acceptai
sans broncher. Cette démarche entrait de toute façon dans mes futurs projets. A l’époque,
cette opération, plus que banale aujourd’hui, se pratiquait presque exclusivement dans les
milieux artistiques. En homme d’affaires avisé, Harry prit sur lui toute l’organisation de cette
intervention qui eut lieu à Anvers, dans une clinique plutôt haut de gamme. Lui, le Juif
israélien, savait-il que cette ville flamande est volontiers associée à Rubens, peintre baroque
qui peignit à satiété et avec génie tant d’opulentes beautés callipyges aux poitrines bien
rebondies ? Toujours est-il que, si mon mentor mena l’organisation de l’intervention tambour
battant, son soutien affectif se fit parcimonieux, voire minimal.
Mieux qu’un impresario, Harry prit ma carrière en main, décidant de mes prestations sur
scène comme des villes, pays et lieux où je me produisais. Il créa pour moi, son nouveau sex-
symbol, une chorégraphie éblouissante, un numéro de strip-tease qui allait époustoufler et
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