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La Diaspora de Culture Hispanique
          Le 16ème siècle atteste une floraison spirituelle inouïe de cette diaspora séfarade méditerranéenne. Un véritable âge d’or. Des historiens
          comme Salomon Ibn Verga régénèrent un genre délaissé jusque-là par les lettrés juifs. Des exégètes et des mystiques comme Don Isaac
          Abravanel, R. Abraham Sabba et R. Jacob Berab, réécrivent leurs ouvrages crus perdus et les multiplient par des nouveaux apports. Si la
          philosophie juive perd un peu de terrain (citons quand même Leone Hebreo, le fils de Don Isaac Abravanel), les écrits apocalyptiques et
          cabalistiques en gagnent et très tôt préparent le terrain de la célèbre école Lurianesque de Safèd. Le fait de toute cette création est sans doute
          la codification la plus importante des lois juives : le Shoul’han Aroukh : ( « La table » ) de R. Joseph Caro.
          Toute cette production littéraire est secondée par un effort conscient de formation, de création d’un « leadership » rabbinique, d’une élite
          spirituelle nombreuse, chargée de transmettre et de renouveler le legs du judaïsme espagnol. R. Joseph Taitatzak de Salonique est le
          symbole de ceux qui vouèrent leur vie à cette tâche éducationnelle. Cet âge d’or spirituel est ancré dans un grand essor économique, surtout
          des communautés italiennes et de l’Empire Ottoman. L’énorme communauté d’Istanbul, déjà très importante avant l’arrivée des expulsés
          espagnols, est choyée par le Sultan et dirige beaucoup de ses entreprises économiques et commerciales. Mais aussi Salonique, Safed, où les
          Juifs espagnols sont une majorité, se trouvent en pleine expansion industrielle, grâce aussi à ces mêmes Juifs.
          Mais cette conjoncture n’est pas éternelle. Au 17ème siècle, l’Empire Ottoman est en perte de vitesse. Une certaine stagnation économique
          le touche, qui prépare et annonce déjà sa déchéance prochaine. Les Juifs perdent de leur importance auprès de la « Sublime Porte » et ce
          sont des Arméniens et des Grecs qui les supplantent dans les finances et dans le grand commerce ottoman. Les communautés juives du
          Levant commencent donc à pâtir d’une régression économique. En ce 17ème siècle, elles sont en plus touchées grièvement par l’affaire du
          faux messie Sabbetay Tsevi. Quand celui-ci se convertit à l’islam, nombreux sont les Juifs « déconnectés », grand nombre de rabbins et de
          dirigeants communautaires étant disqualifiés à leurs yeux pour leur attitude dans cette affaire. Une minorité optera même pour suivre
          Sabbetay Tsevi dans la religion musulmane et formera la secte des « Deunmeh ».
          Temps de crise donc que ce 17ème siècle pour les communautés séfarades du Levant. Loin de la Méditerranée surgit une nouvelle diaspora
          séfarade : des communautés de création « marrane » naissent et grandissent en Europe : Bordeaux, Amsterdam, Hambourg, plus tard
          Londres. Il est peut-être significatif que leurs créateurs, fuyant l’Espagne et surtout le Portugal, après des générations cultivant sous le
          masque une conscience juive pou le moins particulière, aient choisi d’autres centres que ceux du Levant pour se réincorporer au Judaïsme.
          Mais ce temps de crise, qui s’accentua au 18ème siècle avec une décadence ottomane déjà palpable, sera paradoxalement, pour les
          communautés hispanophones du Levant, un temps de renaissance culturelle. Si le 16ème siècle est le grand siècle de la culture juive
          séfarade de contenu juif et en langue hébraïque, il porte aussi en filigrane un courant d’écrits en judéo-espagnol, à destination populaire. Ce
          courant littéraire ne tarit pas. Au contraire, il va s’accentuant jusqu’à recevoir au 18ème siècle ses « lettres de noblesse» avec la parution du
          Me’am Lo’ez. Jacob Khouli : énorme compilation d’exégèses, de légendes et de traditions populaires adressée aux masses mais aussi à une
          « intelligenzia » non rabbinique, non spécialisé : aventure littéraire de grande envergure que continueront d’autres que Khouli. Avec
          l’impression de nombreuses pièces poétiques populaires, « coplas » et « romanças », c’est à une nouvelle renaissance de la littérature
          séfarade que nous assistons aux Balkans, une renaissance hispanique cette fois-ci. Contrairement à la production littéraire hispanique des
          séfarades d’Europe du Nord, la production balkanique va en s’accentuant et en s’approfondissant tout le long du 18ème et du 19ème
          siècles : aux genres traditionnels, poétiques et éducatifs, s’ajoutera au 19ème siècle une littérature populaire très dense : des traductions et
          des adaptations d’œuvres européennes (surtout françaises), mais aussi des pièces de théâtre, de très nombreuses courtes nouvelles, quelques
          plus courts romans, bref de quoi assouvir la soif de culture des séfarades, dans leur propre langue, le judéo-espagnol. La deuxième moitié du
          19ème siècle voit aussi apparaître une presse séfarade judéo-espagnole qui se divise très vite politiquement et devient un facteur certain de
          modernisation des masses.
          Au 19ème siècle, une division culturelle du monde séfarade est donc déjà accomplie : de nombreuses communautés sont dès lors appelées
          telles, dû à leurs traditions et leurs coutumes judaïques particulières, ainsi qu’à leur conscience et leur mémoire historique. Mais elles ont
          perdu un trait de culture important : leur hispanophonie (Ensemble des pays ayant l’espagnol comme langue officielle ou dominante). C’est
          le cas en Italie, en Afrique du Nord , au nord de l’Europe. Les communautés des Balkans et de la Turquie au contraire, ainsi qu’une petite
          frange du littoral méditerranéen du Maroc et quelques autres points au Levant comme Jérusalem, voient s’affirmer cette hispanophonie.
          Cela ne doit rien ou presque rien à des contacts avec l’Espagne même ; c’est le fruit d’une évolution culturelle propre, d’un mûrissement
          interne.
          Les « Retrouvailles » Stéphanois-Sefarades
          Mais cet état de choses va permettre le renouvellement des contacts, quand au 19ème siècle, des Espagnols prendront conscience de
          l’existence des communautés hispanophones et essaieront de les insérer dans l’ordre du jour politique et culturel espagnol. Sans grand
          succès.. Le rapprochement des deux « peuples »  (séfarade et espagnol) que prôneront des courants philo-sémites espagnols se fera à petit
          train, cahin-caha. Pour plusieurs raisons. En cette Espagne du 19ème siècle où des luttes constitutionnelles opposent libéraux et
          conservateurs, les libéraux, qui veulent faire du renouvellement des contacts avec des Juifs et de leur ré-acceptation possible en Espagne un
          « test-case », trouvent évidemment, face à eux, un grand courant conservateur qui s’oppose non seulement à un retour des Juifs en Espagne,
          mais à tout dialogue avec eux. Mais même si nous laissons de côté les grandes luttes de courants politiques espagnols, nous voyons que les
          processus humains du « reencuentro », de la redécouverte mutuelle des deux peuples, sont aussi empreints d’ambiguïté émotionnelle.
          Le « reencuentro » » commence – de par la proximité géographique – autour du détroit de Gibraltar.
          Très tôt au 19ème siècle, des Juifs Tétouanais et Tangerois commencent, par le biais de Gibraltar ou par l’entremise d’hommes de paille
          musulmans, avec des ports espagnols. A Gibraltar même, dont la communauté juive est créée par des immigrés du Nord du Maroc dès le
          18ème siècle, et où nombreux sont les travailleurs temporaires juifs habitués à passer quelques mois par an sur le « rocher » tout en laissant
          leurs familles au Maroc, les liens et les contacts directs avec des Espagnols sont monnaie courante et ont des conséquences culturelles
          certaines. Le vernaculaire judéo-espagnol du Nord du Maroc (la « Haketia ») se réhispanise, ou pour être plus précis, subit l’influence du
          Castillan moderne ; de nombreux mots modernes font irruption dans ce parler, amis c’est surtout sa prononciation qui change, accueillant
          peu à peu la prononciation espagnole moderne de lettres comme le « j » (=kh) ou le « s » qui avant étaient prononcées comme le « j » et le «
          z » français.
          Lors du domaine linguistique, des chansons espagnoles à la mode franchissent le détroit et se popularisent dans les juderias du nord du
          Maroc, À un point que la mélodie de certaines comme la chanson dite de Mambru ou  Malbru,  serviront de support musical  des «
          piyyoutim, des hymnes rituels hébraïques chantés dans les synagogues.  Mais toutes ces influences culturelles étant unilatérales, elles
          n’entravnent évidemment pas de changements dans l’attitude des espagnols vis-vis des juifs séfarades du nord du Maroc.
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