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JOUER, TRAVAILLER, VIVRE…
                  est d’actualité. Si chaque humain était éduqué à la notion de « psyca‑
                  trice », il comprendrait pourquoi lui‑ même ou ses pairs se comportent
                  parfois d’une façon puérile et malveillante. La source la plus abondante
                  de « psycatrices », c’est la peur d’être abandonné, qui se traduit en
                  peur d’être rejeté par le groupe. Lorsque notre cerveau doit choisir
                  entre la première option : « quitter le groupe et embrasser la vérité »
                  et la seconde : « rester dans le groupe et rejeter la vérité », sa décision,
                  hélas, est souvent sans appel, et en faveur de la seconde.
                    Pourquoi ce choix ? Parce que notre cerveau est issu de l’évolu‑
                  tion. Si, en pleine ère glaciaire, vous aviez le choix entre avoir raison
                  et quitter le groupe ou rejeter la raison et rester dans le groupe, le
                  premier choix serait sûrement mortel, et a fortiori un choix sans
                  descendance. Nous, vivants, sommes donc les descendants de ceux
                  qui ont choisi, dès l’époque des premiers hominidés, de rester dans
                  le groupe et de rejeter la vérité. Parce que c’est bien beau d’avoir
                  raison, mais encore faut‑ il survivre.
                    La pression des pairs est donc un moteur puissant dans la struc‑
                  turation de notre pensée et de nos comportements, et l’humain
                  préférera en général un monde connu malsain à un monde sain
                  mais inconnu. Ce mécanisme explique comment des gens peuvent
                  demeurer dans un groupe ou une situation malsaine, mais confor‑
                  table, alors qu’elle n’est pas dans leur intérêt.
                    Cette pression n’est pas toujours mauvaise. Dans la dynamique
                  de la Silicon Valley, la peer pressure est généralement constructive :
                  « Si moi j’ai réussi, pourquoi pas toi ? » Ailleurs dans le monde,
                  en France par exemple, elle est plus souvent destructrice : « Si moi
                  j’ai échoué, pourquoi réussirais‑ tu, petit présomptueux ? » Alain
                  Peyreffite , puis Yann Algan et Pierre Cahuc  ont bien compris ce
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                  phénomène. Ce qu’il faut, pour faire émerger une Silicon Valley,
                  c’est un haut débit de confiance, en soi et en l’autre. Or une société
                  dont les membres ne se font pas confiance est une société où les
                  individus n’ont pas confiance en eux‑ mêmes.
                    Le phénomène du bizutage est révélateur de ces enjeux : celui
                  qui a souffert par tradition sera enclin à faire souffrir autrui en


                    1.  Peyrefitte, Alain,  La Société de confiance. Essai sur les origines et la nature du
                  développement, Éditions Odile Jacob, 1995.
                    2.  Algan, Y. et Cahuc, P., La Société de défiance : Comment le modèle social français
                  s’autodétruit, Éditions Rue d’Ulm, 2007.

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