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JOUER, TRAVAILLER, VIVRE…
comment nous pourrions en arriver à perpétrer des crimes contre l’huma‑
nité sous prétexte qu’un professeur en blouse blanche ou un policier en
uniforme nous l’a demandé. L’idée de Milgram consiste à tester expéri‑
mentalement le phénomène d’obéissance à l’autorité, et il finit par décou‑
vrir que l’humain se conforme à l’autorité bien au‑ delà de ce qu’il aurait
supposé.
Dans son expérience, un expérimentateur et un acteur jouent respec‑
tivement la figure d’autorité et le cobaye. Ce dernier recevra des
décharges électriques de plus en plus hautes s’il répond mal aux ques‑
tions d’un test. Entre l’expérimentateur et l’acteur se trouve le vrai
sujet de l’expérience : une personne « normale » (on testera plusieurs
religions, plusieurs milieux sociaux) qui devra, sur ordre de la figure
d’autorité en blouse blanche, administrer des électrochocs au cobaye.
Cette personne, nous l’appellerons « le professeur ». Bien sûr, les élec‑
trochocs sont factices, tout comme les cris et l’agitation du cobaye
lorsqu’il reçoit les décharges, mais ça, le professeur l’ignore. La dose
maximale d’électrochocs est annoncée comme « 450 volts » (sans préci‑
sion d’ampérage).
Tant que l’acteur répond mal, la figure d’autorité donne l’instruction au
professeur d’augmenter les doses, prétendument par tranches de 15 volts.
Si le professeur manifeste l’envie d’interrompre l’expérience, la figure
d’autorité lui dira successivement :
1. « Continuez s’il vous plaît. »
2. « L’expérience requiert que vous continuiez. »
3. « Il est absolument essentiel que vous continuiez. »
4. « Vous n’avez pas d’autre choix, vous devez continuer. »
Si le professeur administre trois fois un électrochoc de 450 volts, l’expé‑
rience se termine.
Dans toutes les expériences, pour s’assurer de l’empathie du professeur, on
commence par lui administrer un électrochoc réel, pour lui faire ressentir
ce que son cobaye sera censé éprouver. On lui fait également croire qu’il
aurait très bien pu se trouver sur la chaise du cobaye, puisque leurs postes
sont prétendument tirés au sort (en réalité, le tirage est truqué). Dans
le feu de l’expérience, si le professeur demande à la figure d’autorité qui
sera tenu pour responsable de la souffrance du cobaye, cette dernière
répondra : « J’en assumerai la responsabilité. »
Si les résultats de Milgram nous glacent, c’est qu’en termes de soumission
à l’autorité, ils dépassent largement les pronostics des étudiants ou des
chercheurs. Son expérience a d’ailleurs été reproduite dans différents
contextes et cultures, avec des résultats différents, mais toujours une
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