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JOUER, TRAVAILLER, VIVRE…
Ce phénomène confirme en partie la théorie des prospects, développée
par Tversky et Kahneman. Non seulement l’expérience du singe capucin,
qui produit des résultats très comparables chez l’humain, prouve que nous
avons une attitude irrationnelle vis‑ à‑ vis des gains et des pertes, mais elle
prouve surtout que la douleur d’une perte n’est pas symétrique au plaisir
d’un gain : notre cerveau donne plus de poids à l’insatisfaction qu’à la
satisfaction. Cette découverte se manifeste dans les situations de spécula‑
tion financière ou d’addiction au jeu, par exemple (identiques sur le plan
neuronal).
Imaginons qu’un trader gagne 1 000 euros en bourse pour la première
fois. Une certaine quantité de dopamine est libérée dans son cerveau.
L’addiction tient naturellement à se gratifier de la même quantité de
dopamine à chaque fois. Eh bien, pour simplifier, si le trader veut recevoir
la même quantité de dopamine, il devra gagner non plus 1 000 euros,
mais 10 000, car la courbe de réponse est logarithmique : il faut dix fois
plus de gain pour gagner une seule dose de dopamine en plus.
Concernant les pertes, et toujours en simplifiant, on peut constater que
la dopamine retirée par le cerveau quand le trader perd 1 000 euros est
la même que celle fournie quand il en gagne 10 000. Il y a donc une
asymétrie dans l’intensité psychologique que notre cerveau donne aux
pertes et aux gains : il trivialise les gains et amplifie les pertes.
Jouer
Les geeks apprennent aussi
Jouer égale jouir. Pour l’esprit bas de plafond, ce n’est donc pas
sérieux. On l’a vu, pourtant, jouer est la façon la plus répandue
d’apprendre chez les mammifères. Tous les animaux les plus intelli‑
gents, de la pie à la pieuvre en passant par le dauphin, jouent pour
apprendre, et si la nature, qui ne fait pas de cadeau, a sélectionné cette
méthode, c’est qu’elle est bien plus sérieuse que les plus sérieuses des
nôtres. Alors ayons l’humilité de la recevoir comme telle.
Les jeux encouragent une pratique délibérée, prolongée, et une
« excellence amusante ». Ils abaissent la barrière d’entrée en leur
sein, élèvent la barrière de sortie et proposent ainsi une structure
idéale à toute forme d’enseignement : le bon enseignement, c’est
celui qui rassemble facilement ses élèves et peine à les disperser.
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