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JOUER, TRAVAILLER, VIVRE…
sentiment d’ennui ou de peur chez les prisonniers, vous pouvez établir la
notion d’arbitraire selon laquelle leur vie est totalement sous votre contrôle,
sous celui du système, sous le mien, le vôtre, et qu’ils n’auront aucune vie
privée… Nous allons leur prendre leur individualité de plusieurs façons.
En général, tout cela mène à un sentiment d’impuissance. C’est‑ à‑ dire,
dans cette situation, nous avons tout le pouvoir, et ils n’en ont aucun. »
Au bout des premières vingt‑ quatre heures, une révolte éclata. Les gardes
tentèrent de diviser psychologiquement les prisonniers par favoritisme,
ce qui échoua. Après trente‑ six heures, un prisonnier se mit à agir d’une
manière visiblement aliénée et enragée. Voyant la situation se dégrader,
les gardes recoururent à des formes de plus en plus terribles de torture
psychologique, forçant des prisonniers à dormir à même le béton, à défé‑
quer dans un seau au milieu de leur cellule sans pouvoir le vider, à rester
nus et à répéter leur numéro de matricule inlassablement…
C’est parce qu’un bon tiers des gardes développèrent en moins de
soixante‑ douze heures une cruauté sadique, que Christina Maslach,
ancienne étudiante de Zimbardo (et sa future épouse), parvint à le
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convaincre d’arrêter l’expérience, qui se termina au bout de six jours .
Tous les gardes en furent déçus.
Si cette expérience est historique, c’est parce que, contrairement à la
majorité des tests menés en psychologie contemporaine, elle mit en scène
son expérimentateur (Zimbardo jouait le directeur de la prison) et eut
des répercussions sur lui. Une telle situation est aujourd’hui considérée,
à tort, comme anti‑scientifique.
4. « L’effet de surjustification » : la récompense rend‑ elle
plus productif ?
À l’origine, c’est un test de résolution créative de problème utilisé par
le gestalt‑ psychologue Karl Duncker. On fait entrer un cobaye dans une
pièce, où est installée une table. Sur cette table, une boîte d’allumettes,
une boîte en carton remplie de punaises et une bougie. Au mur, un tableau
de liège. Le cobaye doit trouver un moyen de fixer la bougie sur le tableau
et de l’allumer, sans que la cire, en tombant, ne touche la table située en
dessous. La solution recherchée consiste à vider la boîte, à la fixer au
tableau avec une punaise, à placer la bougie verticale dedans et à l’allumer.
Ce test vise à déstabiliser notre pétrification mentale en nous invitant à ne
pas voir la boîte de punaises comme un contenant à fonction unique, mais
1. Des cinquante témoins de l’expérience, Maslach fut la seule, selon Zimbardo, à
s’émouvoir des conditions de détention des faux prisonniers et de l’attitude de leurs
gardiens.
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