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LIBÉREZ VOTRE CERVEAU !
plus grande soumission à l’autorité que celle qui était attendue . Dans
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l’expérience initiale, vingt‑ six professeurs sur quarante vont jusqu’à la
décharge électrique maximale de 450 volts. Dans certains cas, le cobaye
est tenu de prévenir le professeur qu’il a une maladie cardiaque. Or,
même si chacun des professeurs en question lui a serré la main, même
si chacun d’entre eux sait qu’il aurait pu se trouver à sa place, aucun
n’insiste pour qu’il soit libéré au cours de l’expérience, et même parmi
ceux qui abandonnent, aucun ne s’enquiert de son état de santé.
3. L’expérience de la prison de Stanford ou « l’effet Lucifer »
Dix ans après Milgram, Philip Zimbardo entreprend de tester les abus de
pouvoir des gardes, en particulier dans les prisons militaires. Financée par
l’US Office of Naval Research, l’expérience veut déterminer si les abus en
question relèvent de traits de caractère des gardiens (et donc s’ils en sont
pleinement responsables), ou si c’est le contexte qui les y pousse, créant une
sorte d’« effet Lucifer ». De fait, les résultats obtenus par Zimbardo prouvent
que certaines structures sont de véritables « usines à Lucifer ». Non seule‑
ment ces structures existent de plein droit, mais nous sommes conditionnés
à les respecter et à leur donner notre confiance. Les atrocités de la prison
d’Abu Ghraib en Irak (pour lesquelles Zimbardo fut appelé à témoigner) ou
celles de Guantanamo, qui perdurent, nous démontrent que l’usine à Lucifer
tourne encore aujourd’hui, avec l’aval conscient de bons pères de famille.
Pour son protocole, Zimbardo recruta vingt‑ quatre hommes blancs sans
antécédents judiciaires ou médicaux, dont psychiatriques, avec pour princi‑
pal critère de sélection leur stabilité psychologique. Il les paya pour s’enga‑
ger dans une étude devant durer de sept à quatorze jours. Douze d’entre
eux furent choisis au hasard pour jouer les gardiens d’une fausse prison
aménagée dans les sous‑ sols du département de psychologie de Stanford ;
les douze autres furent désignés comme les prisonniers. Tous savaient qu’il
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s’agissait d’une expérience, ce n’est donc pas un simple aveugle . Les faux
prisonniers furent arrêtés avec le concours de la police de Palo Alto, on prit
leurs empreintes et leur identité judiciaire, on les fouilla et on leur attribua
un numéro. Quant aux gardiens, qui disposaient d’une matraque pour
pouvoir affirmer leur autorité, ils reçurent de Zimbardo (dans le rôle du chef
de la prison) les instructions suivantes : « Vous pouvez susciter un certain
1. Blass, T., « Understanding behavior in the Milgram obedience experiment : The
role of personality, situations, and their interactions », Journal of Personality and Social
Psychology (1991), 60, 398.
2. En simple aveugle, on aurait introduit un faux prisonnier dans une vraie prison
sans en prévenir les gardiens.
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