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LIBÉREZ VOTRE CERVEAU !
invoquant la même tradition, pour donner du sens à sa souffrance.
Seul le magnanime se sentira capable de porter seul cette souffrance,
brisant la chaîne du bizutage… Mais les magnanimes ne courent
pas les rues, et comme le disait Gandhi : « Le pardon est l’attribut
du fort. » En entreprise, si vous avez travaillé toute votre vie dans
la culture de la souffrance, vous serez plus enclin à ridiculiser qui‑
conque défendra le bien‑ être au travail.
L’organisation des bureaux dans la Silicon Valley, si elle n’est
pas parfaite, cultive cette notion de bien‑ être et refuse l’idée de la
souffrance comme marqueur de la productivité. Les bureaux de
Linkedin, Facebook ou Google (qui fut pionnier de l’architecture
d’intérieur « Silicon Valley ») ont revendiqué l’idée selon laquelle
le lieu de travail devait être tellement bien pensé que si l’employé
pouvait choisir entre sa couette et son bureau, il préférerait le
bureau. L’idée de transporter les employés dans des navettes gra‑
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tuites équipées en wi‑fi procède du même esprit. L’épuisement
des personnels dans les bouchons ou les transports en commun
ne profite à personne, alors autant leur offrir une motivation et
une énergie maximales quand ils arrivent sur leur lieu de travail.
Le pari est réussi. En Californie, il n’est pas rare de rencontrer
des googlers célibataires au bureau le week‑ end, pour leurs projets
personnels, parce que s’ils n’ont pas de plan pour leur dimanche,
le bureau est suffisamment riche en attractions pour constituer une
sortie à lui tout seul. En France, nous sommes encore très loin de
cette mentalité.
Le prix Nobel de la paix Muhammad Yunus, père du microcré‑
dit moderne, a su jouer de la pression des pairs. Il s’est vite rendu
compte que pour sortir des hommes et des femmes de la pauvreté,
il fallait travailler non pas sur l’individu, mais sur le groupe, et
créer une dynamique de pression positive (« si je peux le faire, tu
peux le faire »). Il a notamment observé que sortir une personne
de la pauvreté, c’était aussi la sortir de son groupe, ce qui rend
la tâche beaucoup plus ardue et crée une barrière psychologique.
La démarche réussit d’autant mieux que la personne a déjà un
1. Ces navettes sont devenues un symbole parfois exécré de la « gentrification »
de la Vallée et de l’inévitable hausse de son immobilier, si bien qu’elles génèrent des
protestations.
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