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LIBÉREZ VOTRE CERVEAU !
une vision beaucoup plus nuancée de ce que les humains essaient
de maximiser quand ils achètent un produit.
L’art de frustrer
Le marketing contemporain repose sur la frustration perma‑
nente, qui est dangereuse parce qu’elle porte en elle une possibi‑
lité de violence. Je suis personnellement frappé d’observer à quel
point les jeunes hommes qui n’ont jamais eu de petites amies, dans
certains pays en particulier, peuvent s’avérer violents ou enclins
à la violence. Je n’en tire pas un lien de cause à effet. Mais j’ai
tendance à penser que la violence en société ou dans l’organisme
(comme le cancer, la dépression…) est une « tirelire probabiliste »
dans laquelle on verse continuellement un peu de monnaie, jusqu’à
ce qu’un événement survienne : l’automobiliste dont on a rayé la
voiture, qui sort une arme à feu et abat l’auteur du méfait, exprime
une frustration accumulée largement supérieure à celle engendrée
sur le moment. Ce principe selon lequel la frustration peut être
« stockée » et traitée comme une forme d’énergie individuelle ou
collective, qu’elle peut même être manipulée, amplifiée et cana‑
lisée pour créer des émeutes ou des révolutions, est bien connu
des services de renseignement, qui savent que l’on peut utiliser la
frustration collective à des fins géopolitiques. Quand il se manifeste,
cet usage, d’ailleurs, relève de slogans, de moyens, que ne renierait
pas Madison Avenue. La frustration est un excellent moyen de
recruter la violence.
Le problème, lorsque l’on fait reposer la consommation sur la
frustration et la soif permanente, c’est que la société doit payer une
taxe de violence, qui se chiffre en vies, en incidents, en crimes, en
délits, du fait que son économie fonctionne sous la tension de cette
frustration. Comme les vieux moteurs électriques produisaient des
étincelles, le moteur de notre société de consommation, qui tourne
à la frustration, crée des étincelles de violence, qui peuvent engen‑
drer des incendies. De cela, la neuropsychologie pourrait même éta‑
blir un indicateur. Car le problème, de nos jours, c’est qu’il n’existe
pas de produit intérieur brut sans une frustration intérieure brute,
que l’on pourrait sans doute quantifier en partie, et qui pourrait
peut‑ être expliquer pourquoi le taux de dépression, de suicide ou
le pessimisme ambiant est si élevé dans les pays dont le PIB par
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