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MARKETINg, POLITIQUE ET JOURNALISME


                  L’homme le plus intéressant du monde
                  boit de la bière Dos Equis
                    Il existe une campagne marketing si célèbre aux États‑ Unis qu’on
                  l’enseigne aujourd’hui dans la plupart des cours de communication.
                  La publicité pour la marque de bière Dos Equis utilise en effet
                  une subtile composition de leviers associatifs, ainsi qu’un autre
                  levier clé du marketing : la nouveauté dans l’exécution. Dans un
                  court film, elle met en scène un personnage sur mesure présenté
                  comme l’« homme le plus intéressant du monde ». On commence
                  par présenter une liste de ses exploits (« Ses chemises ne se froissent
                  pas. », « Les moustiques le respectent trop pour le piquer. », « Il
                  parle toutes les langues du monde, plus trois qu’il est le seul à par‑
                  ler. », etc.). On le voit ensuite dans un bar chic, homme de plus de
                  soixante ans, mâle alpha entouré de femmes attirantes et au moins
                  deux fois plus jeunes que lui, qui déclare d’une voix grave et sûre :
                  « Je ne bois pas toujours de la bière, mais quand j’en bois, je préfère
                                                                        1
                  Dos Equis. » Et de poursuivre : « Stay thirsty, my friend . »
                    Que trouve‑ t‑on dans cette campagne ? De la stratégie et de la
                  psychologie. Stratégiquement, on positionne cette bière sur tous les
                  segments d’âge à la fois (qu’ils soient légaux ou non). Tout le monde
                  a envie d’être « l’homme le plus intéressant du monde », aussi bien
                  l’adolescent prépubère que le retraité ou le jeune père de famille.
                  Or l’homme le plus intéressant du monde, pour rester cohérent,
                  ne peut pas boire une bière standard, une bière que tout le monde
                  connaît. Les publicitaires tirent donc parti du relatif anonymat de
                  leur marque pour la distinguer, ce qui pourrait justifier au passage
                  le fait de la vendre plus cher. Ils font une force de la faiblesse de
                  leur produit. L’autre subtilité de cette campagne tient à son manie‑
                  ment du second degré. La publicité n’ordonne pas directement au
                  spectateur de boire de la Dos Equis (l’homme le plus intéressant
                  du monde ne peut pas boire que de la bière), alors elle met dans la
                  bouche de son personnage la phrase suivante : « Quand j’en bois,
                  je préfère… », suivie de l’injonction hypnotique : « Stay thirsty, my
                  friend », rendue plus efficace par une longue préparation.




                    1.  « Reste assoiffé, mon ami. »

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