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MARKETINg, POLITIQUE ET JOURNALISME
modère en « Donne‑ moi ce dont j’ai besoin ». Dans la nature, en
effet, le singe capucin ne peut pas se gaver, puisque les guimauves
dont il raffole ne poussent pas sur les arbres.
C’est l’un des buts, peu nobles, du marketing que de faire croire
l’inverse à notre cerveau : la publicité est un monde où les gui‑
mauves semblent bel et bien pousser sur les arbres.
On attribue souvent à Churchill cette citation, apocryphe à ma
connaissance : « Ne discutez pas avec le singe quand le joueur d’orgue
se trouve dans la pièce. » Le singe, c’est notre moi‑ qui‑ commande,
l’organiste, notre raison, notre moi véritable. Le marketing, en géné‑
ral, fait tout pour susciter le « Donne‑ moi ce que je veux. », et il
s’efforce d’écarter celui qui chuchote, humblement : « Donne‑ moi
ce dont j’ai besoin. »
« Ne discutez pas avec le moi‑ qui‑ commande quand le moi véri‑
table se trouve dans la pièce », tel est le mot d’ordre du marketing
moderne.
D’où le tollé provoqué par Patrick Le Lay, alors patron de TF1,
lorsqu’il déclara que son entreprise vendait à des marques du
temps de cerveau humain disponible. Aussi cynique qu’elle soit,
cette formule est parfaitement juste du point de vue de l’analyse
neuroergonomique. Par ailleurs, elle n’est pas le business model
de TF1 seulement, mais aussi de Google, et en particulier de sa
filiale YouTube.
Je me souviendrai toujours de cette réplique du film Pépé le
Moko, de Julien Duvivier, avec Jean Gabin. Un groupe de bandits
négocie des bijoux volés avec son receleur. À l’un d’eux, impa‑
tient, Pépé lance : « Laisse‑ le réfléchir ! » Et l’autre de répondre :
« Plus il réfléchit, plus on perd ! » Cette phrase, c’est la base même
du marketing : le comportement d’achat doit être rapide, émo‑
tionnel, et ne surtout pas relever du « Donne‑ moi ce dont j’ai
besoin. » mais du « Donne‑ moi ce que je veux. » Et il n’y a rien
de pire pour un vendeur, n’est‑ ce pas, que de s’entendre dire :
« Je vais réfléchir… » Le marketing contemporain nourrit notre
ego… avec toutes les conséquences désagréables que cela implique
pour nos sociétés.
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