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MARKETINg, POLITIQUE ET JOURNALISME
                  habitant est haut. Si notre économie tourne à la consommation et
                  que la consommation tourne au marketing, alors notre économie
                  tourne à la pulsion, à la frustration, à l’insatisfaction. Un client
                  satisfait ne consomme plus. Un client insatisfait consomme. C’est
                  aussi simple que ça. L’insatisfaction programmée est aussi essen‑
                  tielle à l’économie actuelle que l’obsolescence programmée.
                    Bien sûr, il découle de cette observation que la consommation
                  n’est plus au service de l’homme, mais que l’homme est au service
                  de la consommation, puisqu’il est prêt à hypothéquer son bonheur
                  pour consommer davantage. Peut‑ être que les générations futures,
                  qui auront acquis de nos erreurs davantage de sagesse, verront la
                  frustration comme une pollution mentale équivalente à la pollu‑
                  tion atmosphérique ou environnementale. Elles diront : « Rendez‑
                  vous compte, ces rustres du néo‑ Moyen Âge étaient tellement sales
                  qu’ils trouvaient normal de polluer l’air qu’ils respirent, l’eau qu’ils
                  boivent, le lait qu’ils donnent à leurs enfants, et jusqu’à leur sang,
                  os et cheveux, dont nos analyses ont montré qu’ils étaient souillés
                  de plomb, de cadmium, de mercure, d’arsenic et de dioxine. Mais
                  le pire, c’est qu’ils trouvaient tout à fait normal de polluer leur
                  esprit de frustration et d’insécurité permanente à la seule fin de
                  doper leur économie. »
                    « Si la violence est le résultat de sentiments de frustration, alors
                  nous devons détecter ces sentiments avant qu’ils n’atteignent la
                  chair . » Cette phrase d’Idries Shah exprime d’une façon limpide le
                       1
                  rapport entre frustration et violence, et la vision qui doit présider
                  à son désamorçage. Les politiciens feraient bien de s’en inspirer,
                  par exemple dans le cas des banlieues en France ou des gangs
                  aux États‑ Unis. Dans les temps anciens, certaines sociétés avaient
                  institutionnalisé une période annuelle pour libérer les frustrations
                  accumulées dans la cité. Il s’agissait des bacchanales, du carnaval, ou
                  d’autres événements de ce genre. Aujourd’hui, il existe une baccha‑
                  nale virtuelle, matérialisée par les sites pornographiques en ligne,
                  qui recycle chaque jour un peu de la frustration et de la tension
                  accumulées dans nos sociétés. Sans compter la prostitution, dont le
                  rôle social semble une évidence, alors que cette évidence ne vient,


                    1.  « If violence is the result of pent‑ up feelings, then we have to identify those feelings
                  before they reach flesh point », Idries Shah, One Pair of Eyes, documentaire, BBC, 1964.

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