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NEURONAISSANCE
                  auprès des autorités médicales qu’ils étaient des schizophrènes « en
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                  rémission  », et consentir à l’absorption de drogues antipsycho‑
                  tiques, c’est‑ à‑ dire à l’obligation de soins en dehors de l’hôpital.
                  Le temps moyen de privation des libertés chez ces faux patients
                  fut de dix‑ neuf jours, l’internement le plus long atteignant les
                    cinquante‑ deux.
                    Tous les pseudopatients avaient reçu pour instruction de
                  prendre des notes durant leur séjour, et d’observer le personnel
                  médical. Dans certains cas, ce dernier convertit précisément leurs
                  actions pour les faire entrer dans le cadre d’une interprétation
                  psychopathologique : la prise de notes devint un « comportement
                  d’écriture », jugé psychotique. Dans tous les cas, les patients, et
                  non le corps médical, furent les premiers à soupçonner que les
                  pseudopatients étaient des journalistes ou des chercheurs – soup‑
                  çons qui furent bien entendu interprétés par le personnel comme
                  de la paranoïa.
                    Jamais Rosenhan n’aurait imaginé être interné deux mois : « La
                  seule façon pour moi de quitter l’hôpital était de confirmer ce
                  que me disaient les médecins : j’étais fou, mais en rémission . » Il
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                  put observer en particulier la déshumanisation monstrueuse que
                  subissaient les patients autour de lui : traités comme des objets,
                  régulièrement fouillés, envahis dans leur vie privée, parfois obser‑
                  vés aux toilettes ou bien mentionnés en leur présence dans des
                  conversations du personnel soignant. Au lieu d’y voir simplement
                  le désir naturel de se nourrir, un médecin décrivit à ses étudiants le
                  comportement de patients qui attendaient d’être servis à la cafétéria
                  comme « un symptôme d’acquisition orale ».
                    Avant cela, un cas de biais de confirmation en psychiatrie avait
                  déjà été répertorié : en 1968, le professeur de l’université de l’Okla‑
                  homa, Maurice Temerlin, avait invité deux groupes de psychiatres
                  à se  prononcer sur le comportement d’un homme.  Il s’agissait
                  en fait d’un acteur, dont le rôle était de se comporter normale‑
                  ment. Temerlin fit intervenir deux groupes. Au premier, on dit
                  que l’homme était « un cas très intéressant parce qu’il semblait
                  névrotique, mais était en réalité plutôt psychotique ». Le second


                    1.  Un seul d’entre eux étant diagnostiqué « maniaco‑ dépressif ».
                    2.  Rosenhan, D. L., « On being sane in insane places », Science (1973), 179, 250‑258.

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