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LIBÉREZ VOTRE CERVEAU !
                  groupe (de contrôle) ne reçut aucune influence. Après observation
                  du « patient », soixante pour cent du premier groupe établit qu’il
                  était psychotique, en général schizophrène, contre zéro pour le
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                  groupe de contrôle .
                    En 1988, Brian Powell et Marti Loring  travaillèrent sur un
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                  échantillon plus large encore  : 290 psychiatres, contre 25 pour
                  l’expérience de Temerlin. À ces 290 praticiens, ils donnèrent,
                  pour analyse, le transcrit de l’entretien d’un patient. Dans la moi‑
                  tié des cas, le patient était décrit comme noir ; dans l’autre moitié,
                  comme blanc. L’expérience permit de conclure que « le personnel
                  médical sembl[ait] associer la violence, le caractère suspect et la
                  dangerosité aux patients noirs, même quand l’étude de cas [était]
                  la même que celle d’un patient blanc. »
                    Face aux critiques d’un hôpital dont le personnel affirma péremp‑
                  toirement que jamais les erreurs médicales observées dans le cas des
                  pseudopatients ne pourraient avoir lieu dans ses murs, Rosenhan
                  voulut complémenter sa première expérience. Il prétendit cette fois
                  infiltrer quelques nouveaux « acteurs » sur une période de trois
                  mois. Le personnel de l’hôpital, cette fois, était dans la boucle et
                  devait déterminer lesquels des nouveaux entrants ils suspectaient
                  de faire partie de l’expérience. Sur 193 patients, 41 furent considé‑
                  rés comme des imposteurs convaincus et 42 comme suspects. En
                  réalité, Rosenhan n’avait envoyé absolument personne.
                    La société est bien contradictoire, quand des États encouragent,
                  sur un champ de bataille, des comportements qui, ailleurs, seraient
                  considérés comme psychopathologiques, et soumettent à traitement
                  psychiatrique, dans la société civile, des manifestations aussi saines
                  que la liberté d’expression. La psychiatrisation des dissidents est
                  une marque de fabrique des régimes totalitaires. L’Union Soviétique
                  fut connue pour ses prescriptions forcées d’halopéridol, un anti‑
                  psychotique très répandu, à ses dissidents politiques, dans le but
                  de les contrôler chimiquement, ou à défaut de les rendre fous. Les
                  États‑ Unis ne furent pas en reste, puisqu’ils en inoculèrent de force




                    1.  Temerlin, M.  K., « Suggestion effects in psychiatric diagnosis »,  The Journal of
                  Nervous and Mental Disease (1968), 147, 349‑353.
                    2.  Loring, M. et Powell, B., « Gender, race, and DSM‑ III : A study of the objectivity
                  of psychiatric diagnostic behavior », Journal of Health and Social Behavior (1988), 1‑22.

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