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NEURONAISSANCE
les dogmes, la morosité et les arrogantes certitudes. Ainsi, c’est à
l’intensité de la recherche et développement pendant la Seconde
Guerre mondiale que nous devons le GPS, les semi‑ conducteurs,
les ordinateurs ou les moteurs à réaction. Paradoxalement, la pres‑
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sion élargit le champ des possibles, gonfle les budgets véritables ,
et les organisations qui sont menacées de mort se réinventent plus
facilement que les organisations opulentes.
Ce n’est donc pas un hasard si la neuroergonomie a de multiples
et évidentes origines militaires. Au début de ses recherches sur
l’usage des sciences cognitives dans la compréhension du cerveau
au travail, Raja Parasuraman ne fut pas pris au sérieux par ses
pairs. Cas typique d’arrogance académique, on lui rétorqua que
ses expériences sur l’apprentissage, la décision ou la résolution
de problèmes étaient trop peu contrôlées et précises… donc peu
scientifiques. Ce sont finalement les forces armées américaines qui
financèrent ses premières recherches au plus haut niveau. Elles
s’intéressèrent à ses travaux parce que Parasuraman avait démontré,
entre autres, qu’une stimulation transcrânienne à courant direct,
par exemple, pouvait réduire le temps d’apprentissage d’une rou‑
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tine de pilotage . Dès 1979, il avait également fourni des mesures
intéressantes sur la fatigue attentionnelle et la façon dont notre
vigilance s’affaiblit quand nous prolongeons certaines tâches men‑
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tales . Ses conclusions intéressaient évidemment l’armée, pour la
formation de ses recrues.
1. J’emploie le terme « véritable » à dessein. Le sérieux des budgets militaires améri‑
cains, en effet, était davantage garanti durant la Seconde Guerre mondiale que pendant
la « guerre au terrorisme » – une guerre dans laquelle les dépenses pouvaient être
gonflées artificiellement avec une obligation de résultat quasi inexistante. L’inflation
délirante du budget du F35 atteste de cette dérive.
2. Sur l’amélioration neurocognitive, voir Strenziok, M., Parasuraman, R., Clarke,
E., Cisler, D. S., Thompson, J. C. et Greenwood, P. M., « Neurocognitive enhancement
in older adults : Comparison of three cognitive training tasks to test a hypothesis of
training transfer in brain connectivity », Neuroimage (2014), 85, 1027‑1039.
3. Notons cependant que certaines de ses conclusions ne se vérifient pas sur un jeu
vidéo, dont la pratique est délibérée, motivante en elle‑ même, et peut donc être prolon‑
gée bien au‑ delà des limites qu’il avait établies. Au fond, nos nerfs sont probablement
aussi versatiles dans leurs limites de travail que nos muscles, dont les performances sont
généralement extensibles sous hypnose, sous amphétamines, ou encore sous l’influence
d’une bouffée adrénergique.
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