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NEURONAISSANCE
                    La peer review, en effet, a des répercussions plus que néfastes sur
                  certains pans de la recherche scientifique. Prenons, par exemple,
                  le cas de la médecine : on promeut la « médecine basée sur les
                  preuves » (evidence- based medicine). C’est un progrès, par rapport
                  à une époque où un médecin pouvait prescrire une bonne saignée
                  sans avoir la moindre preuve qu’elle pouvait guérir son patient.
                  Cependant, cela ne signifie pas que quiconque contrôle les preuves
                  peut contrôler la médecine (whoever controls evidence controls medi-
                  cine). Comme l’a bien compris l’économiste O’Rourke, « lorsque
                  l’achat ou la vente sont contrôlés par la législation, la première
                  chose à acheter ou vendre, c’est le législateur ». Quand la médecine
                  est contrôlée par les preuves, la première chose à acheter, ce sont
                  les preuves, leurs faiseurs et leurs éditeurs. Or, lorsqu’une dizaine
                  de journaux capturent plus de la moitié de toutes les citations en
                  recherche médicale, donc sa pensée dominante, et lorsque trois
                  journaux dominent l’indice de classement universitaire mondial,
                  chaque journal n’attribuant pas plus de trois relecteurs (eux‑ mêmes
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                  assez prévisibles), à l’intronisation d’un article , il est extrêmement
                  facile de contrôler les preuves.
                    On s’imagine que la revue par les pairs améliore la science, mais
                  c’est pure croyance : non seulement on n’a jamais prouvé scien‑
                  tifiquement ses bienfaits, mais de nombreux chercheurs (comme
                  Benoît Mandelbrot ou Grigori Perelman) ont maintes fois prouvé
                  son caractère destructeur. Ne pouvant être contredite, elle est à
                  la fois une pseudoscience et une pseudoreligion, et l’on peut se
                  demander, au fond, si le chapeau académique n’est pas simplement
                  une déformation de la burette liturgique, ce chapeau carré qui était,
                  autrefois, le couvre‑ chef du clergé catholique. C’est probablement
                  son origine, d’ailleurs.
                    Si vous recherchez l’objectivité, ne prétendez pas castrer votre
                  subjectivité ou la contraindre ; c’est ce qu’ont essayé des savants
                  de tout temps, et ils en sont devenus sectaires. Le seul moyen pour
                  l’homme d’atteindre l’objectivité chez l’humain, c’est de s’exercer
                  à cette pratique neuroergonomique qu’est la subjectivité limpide :
                  la conscience de notre psyché au travail, avec sa forme, ses biais,


                    1.  C’est bien d’intronisation qu’il s’agit, puisque les expériences ne sont pas
                  reproduites par les relecteurs.

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