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LIBÉREZ VOTRE CERVEAU !
                    La « confiscation » des recherches neuroergonomiques par  l’armée
                  nous expose à un risque d’utilisations abusives. Je crains tout parti‑
                  culièrement leur usage dans le cadre des interrogatoires. Nous avons
                  aujourd’hui certains cas de rétinotopie inverse, un concept porté en
                  France par Bertrand Thirion et Stanislas Dehaene, qui sont parvenus
                  à inférer une image mentale d’un sujet rien qu’en observant son
                  cortex visuel en IRMf. Cette technique nécessite bien sûr un cali‑
                  brage : il faut demander au sujet de penser plusieurs fois à un groupe
                  d’images très simples (disons une croix, un rond, un triangle) et
                  observer la réaction évoquée par sa stimulation. On entraîne ainsi
                  la mesure à reconnaître aussi bien l’activité spontanée et l’activité
                  évoquée, pour pouvoir inférer certains de ces états mentaux par
                  la seule imagerie : l’observation cérébrale permet donc en quelque
                  sorte, et dans une mesure très limitée, de « lire » une pensée. Nous
                  n’avons donc pas encore la possibilité d’inférer les pensées par le
                  biais d’une imagerie, mais nous en approchons. Avec les moyens
                  actuels, nous pouvons anticiper certaines prises de décision, chez
                  le singe comme chez l’homme, certaines tactiques au poker, cer‑
                  tains composants sensoriels de la pensée de quelqu’un, par exemple
                  nous pouvons noter si, dans le cadre d’une pensée plus complexe,
                  quelqu’un pense au goût d’une groseille, ou à l’odeur de l’air frais
                  des alpages.
                    On pourrait aller plus loin encore avec la programmation
                  génétique et le deep learning. Cette technologie est potentielle‑
                  ment si redoutable que des gens comme Elon Musk ou Stephen
                  Hawking la jugent aujourd’hui bien trop sérieuse pour être lais‑
                  sée aux militaires – entre les mains de qui elle se trouve pour‑
                  tant déjà... La programmation génétique, qui mime l’évolution
                  à grande vitesse , permet de générer des logiciels capables de
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                  s’adapter à de très nombreuses contraintes. En fait, s’il existe
                  une adaptation viable à la contrainte désignée et que cette adap‑
                  tation peut se découvrir dans ce qu’on appellera un temps, en
                  informatique,  « polynomial  raisonnable », le  logiciel  finira  par
                  la trouver : on a déjà établi, par exemple, une stratégie totale‑
                  ment gagnante mathématiquement sur un certain type de jeu


                    1.  Plusieurs milliers de milliards d’essais par seconde, avec un bon super‑
                  calculateur.

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