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OUI, IL fAUT TOUT ChANgER à NOTRE ÉCOLE !
fondamental ou du vulgarisateur, qui a fait le plus pour la science,
car je n’ai jamais vu de démonstration scientifique de leur influence
respective et de la supériorité de l’une sur l’autre. Celui qui sème
l’émerveillement scientifique dans des millions d’âmes et dans les
cœurs des générations à venir joue un rôle colossal, qu’on le lui
reconnaisse ou non. La science, la vraie, n’a que faire de l’ego des
humains, de leurs réactions épidermiques, de leurs pseudo‑religions
ou de leur mépris, elle est trop peu développée dans l’humanité
pour se permettre des caprices aussi puérils, superficiels que le
mépris de la vulgarisation. Mais ce à quoi nos sciences et techniques
sont confinées dans l’Univers matériel est à la mesure, inverse, de
leur ego.
En 2014, j’ai été invité à participer en tant qu’expert scienti‑
fique à une émission de divertissement produite par une société
que certains collègues considèrent comme le diable en personne :
Endemol. L’émission s’appelait Les Extraordinaires. Elle était pré‑
sentée par Christophe Dechavanne et Marine Lorphelin, dans le
cadre d’une franchise globale nommée The Brain, qui avait connu
un succès immense aux États‑ Unis, en Italie, en Allemagne et en
Chine. Dans ces quatre pays, aucun des experts conviés n’avait
trouvé l’activité compromettante, mais moi, j’ai dû publier une
tribune sur le site du Huffington Post pour expliquer mon choix.
Et même en y écrivant que faire connaître les mots « mémoire
épisodique », « cortex entorhinal », « sillon intrapariétal » et « hip‑
pocampe » à quatre millions de personnes d’un coup me semblait
justifier cette apparition télé, j’ai pu faire l’expérience de ce que la
vulgarisation, si elle est compromettante pour une certaine frange
du monde universitaire français, devient scandaleuse lorsqu’elle fait
de l’audience. C’est l’une des leçons que j’ai apprises à l’« école des
“extraordinaires” »…
Une autre leçon, qui relève cette fois du management : pour
l’avoir enseigné, je sais que faire fonctionner une société n’est pas
chose facile. Or j’ai pu voir de l’intérieur comment Endemol France
fonctionnait. L’entrepreneur turco‑ allemand Alp Altun m’a dit un
jour : « L’ego, c’est le premier destructeur de valeur dans une entre‑
prise. » Ce que j’ai pu observer dans les studios et les bureaux,
c’est une capacité fine à calmer les ego de ces célébrités suivies
par des centaines de milliers de personnes sur les réseaux sociaux.
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