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OUI, IL fAUT TOUT ChANgER à NOTRE ÉCOLE !
général Patton : « Quand je veux que mes hommes se souviennent
d’un ordre, qu’il soit vraiment mémorable, je le leur donne deux
fois plus salement. On ne peut pas mener une armée sans obscénité,
mais cela doit être de l’obscénité éloquente. » Si une personne a une
mâchoire carrée et que son nom de famille est Tang, Lotfi réduit
« Tang » à « Tank », quelque chose de massif, comme sa mâchoire.
Si elle est née le 20 avril 1988, il lui fait piloter un tank avec du
poisson (avril) sauce vin blanc (20) dans une main, et un sex‑ toy
dans l’autre. Cette technique est ancienne : les malentendants et
les Indiens donnaient aussi souvent pour nom à quelqu’un l’un de
ses traits de caractère ou physiques.
L’idée, c’est de donner du relief aux choses, pour mieux les
agripper (encore une poignée, donc). La démarche est d’autant
plus intéressante que Lotfi pratique également le « parkour », cette
discipline qui consiste à se déplacer le plus rapidement possible en
ville, en prenant appui sur tous les objets légalement autorisés. Dans
le parkour, le corps se découvre des prises sur des surfaces lisses
que la plupart des gens auraient jugées impraticables. La mémo‑
risation procède du même principe. Des éléments semblent lisses
et impraticables mentalement à la plupart d’entre nous, mais avec
un minimum d’expérience on peut y trouver des prises efficaces.
Le trait d’une photographie, l’orientation d’un nez ou d’un sourcil
peuvent donner suffisamment d’appui à notre mental pour qu’il y
tisse une histoire mémorisable.
Ce que la mémoire associative nous rappelle, c’est qu’il est plus
facile pour le cerveau de retenir A et B ensemble que A tout seul.
Il serait fastidieux de retenir quarante éléments pris séparément sur
La Joconde, comme autant de pièces détachées d’un puzzle. Mais se
souvenir du tableau comme d’un tout, c’est beaucoup plus facile. De
même, il est plus simple de retenir une phrase qui a du sens qu’une
succession de mots qui n’en ont pas. Pour cette même raison, les
paroles d’une chanson, portées par une structure mémorable, un
air de musique, se retiennent plus aisément que sans la mélodie.
Le cerveau aime munir les choses de poignées. C’est une des bases
de la neuroergonomie.
Ainsi, Jean‑ Yves Ponce a su retenir cinquante empreintes digi‑
tales (il aurait pu en mémoriser encore davantage) avec le nom,
le prénom et la date de naissance de leur porteur. Julie, quant à
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