Page 31 - Le grimoire de Catherine
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DANS MON CHAMP, IL Y A …


               Du  haut  de  son  tracteur,  il  observe  les  deux  silhouettes  qui  se  faufilent  entre    les
              tournesols .  Et  oui,  voilà que l’on  va  encore dire dans  notre village,  que je suis un
              rêveur, que je suis un peu foutraque, que  cela  n’est pas possible. Pourtant je suis sûr
              de moi,  j’ai  bien vu, déboulant  du champ  voisin, deux  ombres s’enfoncer dans  cette
              mer de fleurs jaunes.
              Il faut  dire  que  je suis  respectueux de  la nature, que  j’aime que toutes  les espèces
              vivantes    se  développent    en  harmonie.    Chacun  doit  avoir  une  place  pour    vivre
              heureux  sans    empiéter  sur  le  territoire  de  l’autre,  chacun    porte    en  soi  sa    propre
              beauté, c’est pourquoi j’ai choisi de travailler la terre.

              Je    respecte  les  saisons  lors  de  mes  semailles  et  n’utilise  ni  insecticides  ni  graines
              OGM.  Je  viens  même  d’accepter  de  tester    un  tracteur  hydro  génique  qui  n’utilise
              comme  seul  carburant  que  des  huiles  végétales !  Cela  vous  explique  que    l’on  ne
              m’écoute pas toujours avec l’attention que je mériterais et que parfois je passe pour le
              gentil  fêlé du village.

              Toutefois la nature  m’est reconnaissante du respect  que je  lui porte, mes tournesols
              se  dressent fièrement sur leurs tiges solides et duveteuses, tandis qu’à leurs pieds, les
              oiseaux  y    nichent  leurs  amours.  Les  lapins  frileux  y  ont  élu  domicile  à  l’abri  des
              museaux  inquisiteurs  des chiens trop fouineurs !
              Hallucination, coup  de fatigue?  Peu importe ce que  l’on pensera de moi, j‘ai envie de
              savoir quel secret recèle ce champ.  Pourquoi l’homme  aurait la faculté  d’être curieux
              si    ce  n’est  pour  s’en  servir.  Je  vais  descendre  de  mon  engin  et  interroger  tous  les
              voisins,  de la  jardinière  aux  cheveux    gris  au  marchand  d’oiseaux.  Je    crois    en  la
              sagesse de ceux qui vivent  en dehors des exaltations de la vie.

              Je me lance, l’enquête commence. J’aperçois maintenant la palissade qui  enserre le
              jardin  de  la  vieille  femme.  Elle  m’intrigue  depuis  si  longtemps !  Dans  le  jardinet
              poussent de maigres artichauts, deux poules chétives cherchent obstinément quelques
              graines  desséchées. L’espace est inquiétant mais je ne vais pas déjà renoncer dés ma
              première  appréhension.

              Comment  engager la conversation ? J’aurai dû me munir d’un petit cadeau, les vieilles
              dames aiment  bien les  gourmandises.  J’ai beau  fouillé au fond de mes poches, je n’y
              trouve qu’un couteau bien usagé et  qu’un  papier  portant un numéro de téléphone que
              je serais  bien incapable  d’identifier.  Courage, allons y !
              Je pousse la barrière affaissée  par les ans, écarte les  branches de l’églantier.  Je suis
              maintenant face à une petite dame, souriante,  qui m’accueille drapée dans un          grand
              tablier, le sécateur en main. Cérès déguisée en paysanne !

              « Il y a si longtemps que  je vous  attends, vous qui apparaissez, à chaque saison,  tel
              un    conquistador    scintillant  dans  votre  champ,  au  volant  d’un  monstre  difficilement
              identifiable,  un vrai  vistemboir !»






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