Page 35 - Le grimoire de Catherine
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Je  me détends. J’ai  maintenant des fleurs plein les yeux,  des triolets dans les oreilles
              et l’odeur des  essences boisées sur les mains. Je m’étire  et me laisse envahir par la
              douceur du soleil déclinant.
              Ah non, pas  encore ! Deux petites  silhouettes  viennent de se faufiler  à mon  nez et  à
              ma  barbe  naissante  dans    le  champ.  Cette  fois-  ci,  je  les  suis.  Je    cours,    saute  et
              m’affale dans le champ, le nez  au ras des pieds des tournesols.

              Ca  piaille, ca  s’ébroue, je viens  de chambouler la préparation d’une  réception, oui je
              dis bien, une réception. Tous  les membres de  cette assemblée sont de  petite  taille.
              Me voilà Gargantua, témoin d’une fête souterraine.
              Personne  ne se fâche contre moi,  tout le monde me connait ! La  vieille  jardinière  me
              tend  en signe de bienvenue un coquelicot, le marchand d’oiseaux, un pipeau, quant  au
              bûcheron,  il me  glisse une  statue  en bois qui me ressemble. Elle a les mêmes yeux
              étonnés que moi.

              Je m’apprête à les remercier, mais ils se mettent à sauter, à battre des mains. Deux
              autres personnes viennent  se  joindre à nous. Etrange  cette sensation de déjà  vu qui
              ne    devrait  pas  exister  dans  la  situation  où  je  me  trouve.  Je  suis    en  face  des  deux
              silhouettes,  celles  de  deux  hommes.  Malgré    leur    taille  réduite    on    peut   distinguer
              leurs caractéristiques.

              L’un  est ténébreux,  ses cheveux et  ses yeux sont sombres,  il a le nez  busqué et des
              mains solides. L’autre  plus malingre, porte un chapeau de paille d’où s’échappe une
              tignasse    rousse.  Ils    saluent,  sans  se  préoccuper  de  ma  présence  et  ouvrent  leur
              gibecière.

              Ils    n’en  sortent    pas    quelque    animal  sacrifié    mais  des  pinceaux,  des  tubes  de
              couleurs  et  multiples  gouges!  Apparaissent    arcs    en  ciel,  champs  de    blé,  fruits
              exotiques et quelques poupées vahinés.

               J’assiste    à  un    cours  de  peinture    et  sculpture  qu’offrent  à  mes  nouveaux    amis
              Gaugin  et    Van  Gogh  depuis  qu’ils  se  sont  réconciliés  après  les  avoir  écoutés  et
              entendus.

              «Dis- moi pour mes iris, Théo, comment  choisir entre  le bleu de Prusse et le  bleu
              touareg ? Vite je dois  voir avec Paul comment dessiner   des poules dodues  ça me
              changera de ma basse-cour fatiguées  par les ans.
              - Patience, Paul  me décrit  les plumages des oiseaux des iles Sous-le-Vent.

              -Ne m’oubliez pas ! Théo raconte- moi le secret  des  vols de corbeaux et toi, Paul, celui
              des statuettes maories».

              Face à  un tel  bonheur, je me fais  le serment de ne  jamais les trahir, de  garder pour
              toujours  ma  faculté    de  vivre  à  côté    quand  le  quotidien  n’a  pas  la  couleur  des
              tournesols et de ne  jamais écraser avec mon gros  véhicule  les  rêves des autres.







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