Page 38 - Le grimoire de Catherine
P. 38

DE LA MAISON DU CHARPENTIER


              De la maison du charpentier, ce 27 août- là

              Ce dimanche, tout était calme. Les pétales des  zinnias  se desséchaient au  soleil, les
              effluves  des copeaux de chêne s’échappaient  de l’atelier   rendu  silencieux  le temps
              du repos dominical. Tout s’était  mis en attente, en attente de  paix. Les américains,
              c’était sûr, allaient  arriver  et tout  reprendrait comme avant.

              D’ailleurs,  on  allait  fêter  cela    dignement.  Patience  leur  drapeau  étoilé    était      caché
              dans  la  cheminée,  prêt  à  être  déployé  pour  ce    grand  moment  tant    attendu,  la
              Libération .

              Jeanne    préparait    la  cuisson  du    lapin  acheté la  vielle  à  la  ferme    voisine  tandis
              qu’André rallumait sa cigarette, papier maïs, qui s’éteignait régulièrement au coin de sa
              bouche  tout      en  lisant  les  nouvelles  de  la  région.  Leur  fille,  Jeannine,  qui  rêvait  de
              devenir  coiffeuse, s’exerçait à manipuler   ses fers à friser sur tout  ce qui pouvait l’être.

              Brutalement, cette atmosphère  si paisible  laissa place à l’étonnement puis à la peur.
              De  la  fenêtre  de  la  cuisine,  ils  venaient  de    voir  arriver  un  vieil  homme,    titubant,
              ensanglanté. Il fallait vite  lui porter secours ! André le fit  entrer.
              Celui  –ci  leur  expliqua  qu’il  faisait  de   l’herbe,  tranquillement,  quand  on  lui  avait   tiré
              dessus. On apprit  par la suite que le  village était  déjà cerné par les allemands  et que
              toute personne qui essayait de se sauver  risquait d’être  abattue. Ce pauvre  homme
              avait été sauvé  par une de ses bretelles. La balle  avait ricochée sur  le  métal de celle-
              ci, et  sa blessure  n’avait pas  été mortelle de ce fait.

              Toutefois, il saignait  beaucoup, il fallait  des  compresses, du coton pour  lui donner  les
              premiers soins en  attendant mieux. L’armoire à pharmacie était  vide.

              C’est alors que  le boucher arriva. « André, il faut  vite  te cacher, ils sont là, ils raflent
              tous les  hommes ! » Il repartit. Personne ne le revit  vivant !

              Il fallait donc   se cacher  et  trouver le  nécessaire  pour soigner le blessé. La  seule
              possibilité   était de  se réfugier dans le  grenier et d’envoyer Jeannine  sonner   à la
              porte de la pharmacie pour demander  de l’aide.
              Jeannine  avait    peur      mais  il  fallait  le  faire  aussi  partit-elle…    en  courant !  André  et
              Jeanne  virent  de leur  lucarne qu’un des allemands  la mettait  en  joue. Ils réalisèrent
              qu’elle portait un pantalon  et qu’elle pouvait être prise pour  un fuyard. Le soldat baissa
              son fusil, il avait dû s’apercevoir qu’il ne s’agissait que d’une  jeune fille.
                Malheureusement, le soulagement fut de courte durée. Sur la place de l’église, arrivait
              un  groupe  d’habitants    du    village,  mains  en  l’air,  encadrés  par    des  soldats  SS.  Le
              maire était là, un soldat l’obligea à s’agenouiller et lui logea une balle en pleine tête

              Un cri « Vive la France », des rafales  de mitraillettes, la mort pour tous. Plus tard, la
              rue principale du village  sera nommée la  rue des 17 Martyrs, afin que la barbarie  ne
              s’efface pas  avec le temps. On savait bien, dans le pays, qu’il y avait un petit groupe
              de  résistants    qui    se  réunissaient  régulièrement    chez  le  marchand    de  cycles  .Qui
              étaient  –ils ?  Combien  étaient  –ils ?  Que  faisaient-ils ?  On  tenait  les  épouses,  les

                                                           34
   33   34   35   36   37   38   39   40   41   42   43