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196 chapitre 7 L’âge préscolaire : développement identitaire et socioaffectif
ont suivi à la fois l’évolution des agressions physiques et des à planifier et à organiser leurs activités, leur frustration dimi-
agressions indirectes, les chercheurs ont fait quelques nou- nue, et la fréquence des agressions ouvertes diminue.
velles observations intéressantes (Côté et autres, 2007). Ils La deuxième hypothèse est celle du renforcement. Quand
ont constaté, par exemple, qu’entre 2 et 8 ans, chez la majo- elle pousse Juliette pour lui arracher son jouet, Maëva reçoit
rité des enfants (62,1 %), les agressions physiques dimi- un renforcement positif (elle obtient le jouet qu’elle voulait)
nuaient, devenant occasionnelles, puis de plus en plus rares qui augmente la probabilité qu’elle répète l’agression. Cet
(au point de pratiquement disparaître), phénomène qui était effet de renforcement direct joue un rôle vital dans le déve-
associé à des agressions indirectes peu fréquentes. Ils ont loppement des modèles de comportements agressifs chez
également constaté que les enfants d’âge préscolaire peu les enfants. Quand ils cèdent devant les crises ou les agres-
enclins aux agressions physiques étaient également peu sions de leur enfant, les parents renforcent le comportement
portés à recourir à l’agression indirecte lorsqu’ils entraient qu’ils déplorent et contribuent ainsi, sans le vouloir, à ancrer
à l’école. Inversement, les garçons et les filles qui recourent un modèle d’agression et de défi chez l’enfant.
fréquemment aux agressions physiques à l’âge préscolaire
présentent un taux d’agressions indirectes plus élevé au Bandura a démontré que les enfants pouvaient apprendre
cours de leur passage à l’école primaire (13,5 %). certains comportements agressifs – frapper autrui, par
Tremblay (2010) résume ainsi les données disponibles sur exemple – simplement en observant une personne qui agit
l’agressivité physique : de la sorte (Bandura et autres, 1961, 1963). Par exemple, en
étant témoin des réactions agressives de leurs parents, de
• La grande majorité des enfants d’âge préscolaire recourent leurs frères et sœurs ou d’autres personnes, ils apprennent
à l’agression physique.
que l’agression est un moyen acceptable de résoudre des
• La grande majorité des enfants apprennent avec l’âge à problèmes. D’ailleurs, on constate que les enfants dont les
utiliser d’autres méthodes de résolution de problèmes. parents recourent régulièrement aux punitions corporelles
• Certains ont besoin de plus de temps que les autres pour sont plus agressifs que ceux dont les parents n’ont pas de
l’apprendre. telles pratiques (Eron et autres, 1991 ; Stacks et autres, 2009).
• Les filles l’apprennent plus vite que les garçons. Une étude qui a comparé les différences entre les sexes dans
• À l’adolescence, à peine plus de 5 % des garçons peuvent la fréquence des agressions physiques chez les jeunes
être considérés comme des agresseurs physiques enfants avec les données de l’Étude longitudinale du déve-
chroniques, tandis que ces cas sont exceptionnels chez loppement des enfants du Québec (Baillargeon et autres,
les filles. 2007) offre un autre point de vue sur l’évolution des agressions
• Les agresseurs physiques chroniques pendant l’adoles- physiques. Les chercheurs ont noté que le ratio filles-garçons
cence sont plus susceptibles d’avoir été des agresseurs des agressions physiques était constant entre 17-29 mois :
physiques chroniques dans la petite enfance. une fille pour cinq garçons manifestait des comportements
d’agression physique. Le point crucial pour les chercheurs,
ici, est que l’agressivité est probablement établie à 17 mois,
comprendre les origines de l’agressivité soit avant la socialisation de l’agressivité ou de l’autorégu-
pour réduire la violence dans nos sociétés ? lation stéréotypée, lesquelles ne pourraient donc pas expli-
quer l’ampleur et la constance de la différence entre les sexes
Les psychologues ont émis diverses hypothèses sur les en ce qui concerne les agressions physiques.
facteurs clés du comportement agressif durant l’enfance, et Le domaine émergent de l’épigénétique fournit une explica-
certains avancent qu’une intervention précoce auprès des tion convaincante de la prédisposition des enfants à l’agres-
enfants et des parents pourrait aider à réguler cette émotion sion (Tremblay, 2008 ; Tremblay et Szyf, 2010). Comme vous
et réduire ainsi la transmission intergénérationnelle de la venez de le voir, les théoriciens ont longtemps mis l’accent
violence ainsi que la prévalence des cas d’agressivité phy- sur la façon dont l’enfant acquiert les comportements d’agres-
sique chronique.
sion (par exemple, par le renforcement et par l’imitation). Ce
À la fin des années 1930, un groupe de psychologues amé- nouveau modèle adopte l’approche contraire en se deman-
ricains (Dollard et autres, 1939) a avancé qu’une agression dant ce qui fait qu’un enfant n’arrive pas à maîtriser sa pro-
était toujours précédée d’une frustration, et que la frustra- pension à l’agression (Tremblay, 2010). Cette opinion est
tion était toujours suivie d’une agression. Comme on l’a fondée sur la prémisse que les nouveau-nés, loin d’être de
démontré par la suite, cette hypothèse était une générali- petits « innocents » qui acquièrent par la suite des compor-
sation abusive : la frustration ne mène pas toujours à une tements agressifs, viennent au contraire au monde avec une
agression, mais elle en augmente la probabilité. Comme ils prédisposition à l’agression (voir le chapitre 5). Par exemple,
ne peuvent pas toujours faire ou avoir ce qu’ils veulent ni bien que des facteurs génétiques puissent probablement
exprimer clairement leurs besoins, les jeunes enfants sont prédisposer un enfant à avoir des tendances agressives, les
souvent frustrés. À mesure qu’ils apprennent à communiquer, facteurs environnementaux peuvent modifier ces tendances
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