Page 14 - 20810_av_ch07_p181-212_presse
P. 14
194 chapitre 7 L’âge préscolaire : développement identitaire et socioaffectif
à la poupée ? » ou « Y a-t-il une règle qui interdit aux garçons 7.3.1 L’évolution de l’attachement
de jouer avec des poupées ? » Les enfants de 4 ans ne voyaient
aucun problème à ce que Georges joue à la poupée. Selon Nous l’avons vu au chapitre 5, dès l’âge de 1 an, typique-
eux, aucune règle ne l’interdisait et, si Georges en avait envie, ment, le nourrisson manifeste son attachement par divers
il pouvait le faire. Les enfants de 6 ans, au contraire, disaient comportements comme se blottir contre la figure d’attache-
que c’était mal pour Georges de jouer à la poupée. Les ment, s’y agripper, se servir de ses réactions pour orienter
enfants de 9 ans, eux, distinguaient ce qui est « mal » de ce son propre comportement (référence sociale) et l’utiliser
qui est inhabituel pour les garçons et les filles. Par exemple, comme base de sécurité pour explorer le monde.
un garçon a expliqué que briser des vitres était mal, mais Vers l’âge de 2 ou 3 ans, bien que l’attachement reste aussi
que jouer avec des poupées n’était pas mal de la même fort, plusieurs de ses manifestations s’atténuent. L’enfant
manière : « On ne doit pas casser des vitres. Et, si on joue de 3 ou 4 ans aime encore s’asseoir sur les genoux de ses
avec des poupées, on peut, mais d’habitude les garçons ne parents et a tendance à rechercher la proximité de sa base
font pas ça. »
de sécurité lorsqu’elle revient. Cependant, son angoisse de
Constat intéressant, des études plus récentes montrent que la séparation s’estompe à mesure que son développement
les enfants du xxi siècle expriment sur le comportement de cognitif lui permet de comprendre ce que dit sa mère ou son
e
genre des idées assez semblables à celles des enfants des père quand ils lui expliquent qu’ils doivent partir, mais qu’ils
années 1970 (Gee et Heyman, 2007 ; Gelman et autres, 2004). vont revenir. Si la situation ne lui apparaît pas menaçante
Ces études suggèrent que, vers 5 ou 6 ans, l’enfant a compris ou stressante, l’enfant devient de plus en plus capable de
que le genre est permanent et cherche une règle absolue et s’éloigner de sa base de sécurité sans manifester de désarroi.
totalement fiable sur la façon dont les garçons et les filles Souvent, il calme son angoisse de séparation en négociant
se comportent (Martin et Ruble, 2004). Il ou elle s’informe des ententes.
en observant les adultes, en regardant la télévision et en
prêtant attention aux « étiquettes » accolées aux comporte- Autour de 4 ans, chez la plupart des enfants, la relation
ments et aux activités (par exemple, « les garçons ne pleurent d’attachement (sécurisante ou non) semble se réorienter
pas »). Dans un premier temps, les enfants voient dans ces pour devenir ce que Bowlby (1969) a appelé un partenariat
étiquettes des règles morales absolues. Dans un deuxième rectifié. Un peu comme le bébé saisit que sa mère continue
temps, ils comprennent que ce sont des conventions sociales ; d’exister même si elle n’est pas là (permanence de l’objet),
à ce stade, les concepts de genre s’assouplissent et, entre l’enfant de 4 ans saisit que la relation continue d’exister
5 et 11 ans, les stéréotypes de genre s’atténuent, bien que même si les partenaires sont séparés. Toujours selon Bowlby,
les idées stéréotypées et les stéréotypes spontanés restent à cet âge, le modèle interne d’attachement de l’enfant se
très forts (Banse et autres, 2010). généralise à ses autres relations sociales. Ainsi, les enfants
qui ont un attachement sécurisant sont plus susceptibles
d’établir des relations positives avec leurs éducatrices et
éducateurs à la garderie ou à la maternelle que ceux qui ont
7.3 Le développement un attachement insécurisant (DeMulder et autres, 2000).
Fait intéressant, les enfants d’âge préscolaire dont l’attache-
affectif
lopper des attitudes critiques et négatives envers eux-mêmes
Comment l’agressivité évoluetelle ment est insécurisant sont aussi plus susceptibles de déve-
durant la petite enfance et comment (Madigan et autres, 2013).
les parents peuventils favoriser les À la même époque, les progrès dans le modèle interne sus-
comportements prosociaux chez citent de nouveaux conflits. Contrairement aux nourrissons,
leurs jeunes enfants ?
les enfants de 2 ans se rendent compte qu’ils sont des pro-
Comme vous le savez maintenant, le développement est un tagonistes autonomes dans la relation parent-enfant. Ce
processus qui comporte de multiples facettes. Depuis le sentiment d’autonomie accrue les entraîne de plus en plus
début de ce chapitre, nous avons abordé le développement souvent dans des situations où les parents veulent une
émotionnel des enfants d’âge préscolaire lorsque nous nous chose, et eux, autre chose. Cependant, contrairement au
sommes penchés sur l’émergence de la théorie de l’esprit stéréotype, le plus souvent, les enfants de 2 ans se confor-
(p. 184) et lorsque nous avons évoqué le lien entre l’empa- ment aux demandes des parents. Ils sont plus susceptibles
thie, la régulation émotionnelle et l’agressivité (p. 188). Dans de se plier aux demandes liées à la sécurité (« Ne touche pas,
cette section, nous nous intéresserons à l’évolution du lien c’est chaud ! ») et aux interdictions concernant la façon de
affectif et aux comportements d’attachement. Puis, nous prendre soin des objets (« Ne déchire pas les livres ») qu’aux
nous pencherons sur les réactions agressives (souvent per- demandes qui supposent une attente (« Tout à l’heure. Je
çues comme antisociales) et sur leur contraire, les émotions ne peux pas maintenant parce que je suis au téléphone »)
et les comportements prosociaux. ou qui concernent les autosoins (« S’il te plaît, va laver tes
20719_AgeVie_ch07.indd 194 17-04-06 08:28