Page 14 - Des ailes pour le Brésil
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De coutume à la fin de la semaine, pour rejoindre l’école à
pied, j’avais pris l’habitude pendant les derniers cinq cents mètres
de scruter le ciel, de peur qu’un condor géant ne m’emporte dans
ses serres. Ce volatile hantait mes rêves.
Au Brésil comme au Chili, les relations avec mon père étant des
plus mauvaises, ses absences répétées étaient du pain bénit.
Avec mon frère, c'étaient des bagarres journalières et douloureuses.
Il avait toujours le dessus.
Ma mère avait été obligée de trouver un emploi en ville pour
subvenir aux dépenses de la famille.
Ma sœur Guillemette avait la terrible responsabilité, à onze ans, de
nous garder mon frère et moi. Nous étions insupportables et des
plus hargneux.
Un jour, perdant patience, elle m’a lancé, d’une distance incroyable,
un grand couteau qui a atteint le bout de mon doigt. Encore une
cicatrice !
Puis, ce sont les ailes d’un DC4 d’Air France qui, en une
cinquantaine d’heures, nous transportèrent en 1946, de Buenos
Aires à Paris. Pendant ce long vol, je pilais mon frère aux échecs !
Ce fut mon baptême de l’air et mes premiers battements d’ailes
dans le ciel.
Personne ne voulut me croire quand je déclarais avoir vu des
baleines, le nez collé au hublot de l’avion.
Je revenais en France avec un pesant bagage et un gros handicap
après six ans vécus en Amérique du Sud. J’avais appris les rudiments
de trois langues : le portugais puis, l’espagnol, en plus du français
que nous parlions à la maison.