Page 16 - Des ailes pour le Brésil
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qu’il avait combattu et gagné la guerre de 1914. J’appris beaucoup
                  plus tard que mon premier beau-père avait été aussi son élève.

                         L’Yonne est belle, mais si rude ! La Bourgogne m’a initié à la
                  bonne chair et au bon vin, et fait connaître ses grands mariages où,

                  en  ce  temps,  les  Bourguignons  festoyaient  parfois  plus  d’une
                  semaine entière. L’étranger, nommé « le bezet, le ballot » n’est ici

                  que rarement accepté.
                   Cela accentuait en moi un certain vide affectif, je me considérais
                  dans  ce  village  comme  un mal-aimé  et  j’étais  regardé  comme  un

                  garçon singulier, embarrassant et rebelle, finalement tel un étranger

                  envahissant.
                         Après  une  longue  période  d’acclimatation  aux  bonnes
                  manières locales, j’ai été envoyé à l’école du patelin, située à environ

                  un kilomètre de la maison où je fis un court passage.
                   Les matins, je marchais, le cartable sur le dos dans mes bruyantes

                  galoches cloutées, durcies par le froid et trempées par la neige.
                   Je ressens encore, en y repensant, le froid et j’entends le bruit des

                  socques.
                         Je revois aussi les oies d’une ferme voisine, où seule la nature

                  sauvage butait sur les murs de pierres sèches.
                  Les volatiles avaient pris l’habitude de m’attendre pour me pincer

                  les  mollets !  Les  jars  me  couraient  après  en  cacardant,  c’est  une
                  nuisance sonore insupportable.

                         D’autant que j’ai toujours aimé le silence absolu des vieilles
                  pierres,  à  l’intérieur  des  églises  et  châteaux  de  nos  pittoresques
                  villages de France, chargés d’histoire.

                         À l’école, nous étions obligés de porter un tablier gris.
                          Je me souviens qu’un jour, j’ai gardé un coin de la

                  classe et j’ai eu l’honneur de m’afficher debout avec un
                  bonnet d’âne !

                   Les élèves me regardaient avec dédain, mais je m’étais endurci et
                  habitué à leur comportement, il n’y avait pas un jour où ils ne se

                  moquaient de mon accent et de mon mauvais Français.
                      Mon pseudonyme dans ce lieu de descente aux enfers était aussi

                  « burette », ce petit flacon à goulot rétréci et bec verseur qui contient
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