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        PARTIE I



                           A /  UN SERVICE PUBLIC DE SANTÉ

                                À BOUT DE SOUFFLE





                           1 / LA FAILLITE DU MODÈLE DE L’HÔPITAL ENTREPRISE

                                     La crise sanitaire pose la question du bilan
                                   de tous les gouvernements précédents.

                                   Pauline Londeix et Jérôme Martin, Observatoire de la transparence
                                   dans les politiques du médicament

                           La crise du Covid-19 a révélé au grand jour les failles du modèle de l’hôpital entreprise.
                           Depuis la fin du siècle dernier, alors que le progrès technique a permis l’émergence d’une
                           médecine quasi industrielle, nos dirigeants, à droite comme à gauche, ont organisé la
                           gestion de l’hôpital, et plus généralement celle de la santé, à l’image d’une entreprise .
                           Alors que depuis 1983, l’hôpital est financé par une dotation globale de fonctionnement
                           annuelle, calculée d’après l’exercice précédent, la fameuse tarification à l’activité (T2A)
                           est instaurée en 2004. D’abord partielle, elle est étendue à toute l’activité de l’hôpital
                           par Nicolas Sarkozy en 2008. Son principe est simple : il s’agit de fixer un prix codifié,
                           via une grille tarifaire publiée annuellement, pour chaque maladie et les soins qui y
                           sont associés. Evidemment, certains actes sont bien plus rémunérateurs (chirurgie
                           notamment) que d’autres (maladies chroniques, psychiatrie…). Cette tarification incite
                           donc à rechercher la meilleure « productivité » possible en privilégiant certaines activités.
                           S’appliquant à tous les établissements de santé, elle organise de fait une concurrence
                           entre cliniques privées et hôpitaux.


                           Cette vision aboutit en 2009 à la promulgation de la loi dite Bachelot (loi HPST, « Hôpital,
                           patients, santé et territoire »). Celle-ci introduit notamment une gouvernance d’entreprise,
                           avec un directeur d’hôpital aux pouvoirs étendus concernant toutes les décisions
                           stratégiques, au détriment des soignants. Elle généralise aussi les partenariats pu-
                           blic-privé au sein de l’hôpital : il n’y a plus de service public mais des « missions de
                           service public » auxquelles on invite les établissements privés à participer. L’ONDAM
                           (Objectif national des dépenses d’assurance maladie, instauré par Alain Juppé en 1996),
                           autrefois simple objectif systématiquement dépassé, devient une contrainte absolue
                           à respecter dès 2010 . Et comme les tarifs sont fluctuants en fonction de l’activité (si
                           l’activité augmente, les tarifs baissent pour contenir les dépenses de santé, et vice-versa
                           théoriquement), les hôpitaux se voient contraints d’augmenter au maximum leur activité
                           pour ne pas entrer en déficit : on raccourcit les séjours, prône l’ambulatoire qui coûte
                           moins cher et on embauche codeurs et factureurs (il y a aujourd’hui plus de personnel
                           administratif que de médecins à l’hôpital) pour optimiser les factures envoyées à la Sécurité
                           sociale.


                           En parallèle, la politique d’austérité qui suit la crise de 2008 entraîne la baisse des
                           tarifs et des dotations de l’hôpital . Peu à peu, on applique à l’hôpital les techniques de
                           « lean-management » (fonctionnement en flux tendus) utilisées en entreprise, avec la
                           réduction des coûts comme seul horizon. Par exemple, un lit ne doit pas rester libre
                           car c’est un « manque à gagner » : on met en place des « gestionnaires de lits » et on
                           réduit leur nombre au maximum. Une même logique s’applique aussi pour le matériel
                           ou les médicaments avec un fonctionnement à « stock zéro ».
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