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PARTIE I
[…] les gestionnaires ont été débordés,
complètement désemparés, et ce sont les équipes
de soin qui ont pris la main complètement !
André Grimaldi, Professeur émérite au centre hospitalier universitaire Pitié-Salpêtrière
3 / UN SYSTÈME INADAPTÉ AUX ENJEUX ACTUELS DE SANTÉ
Avant la crise du coronavirus, la principale épidémie à laquelle la France doit faire
face est celle de maladies chroniques (diabète, hypertension, cancer…), en perpétuelle
augmentation . Cela représente vingt millions de patients dans notre pays . Or l’hôpital-
entreprise est totalement inadapté à cet enjeu majeur de santé publique : les maladies
chroniques demandent un travail en équipe, la prise en compte des aspects psycholo-
giques et sociaux et une coordination entre la médecine de ville (médecin traitant,
infirmier-e en libéral, paramédical) et l’hôpital. Cette coordination est compliquée tout
d’abord par la multiplicité des interlocuteurs en soins de ville, mais également par la
pénurie globale de médecins, sciemment organisée, toujours dans le but de faire des
économies en termes de dépenses de santé, par la limitation du « numerus clausus »
qui plafonne le nombre de médecins formés par an, maintenu trop bas pendant trop
longtemps. Cette politique de l’offre appliquée à la santé a entraîné une saturation de
tous les professionnels du secteur, rendant la communication entre soignants diffici-
le par manque de temps. De plus, T2A d’un côté et paiement à l’acte de l’autre poussent
chaque acteur à « garder » ses patients : l’hôpital réalise des tâches qui devraient être
faites en ville, et certains malades, qui devraient être soignés à l’hôpital, n’y vont pas.
L’application de la T2A aux maladies chroniques peut même inciter à la réalisation de
soins non pertinents et induit une médecine inutilement prescriptive. Les maladies
chroniques sont aussi extrêmement dépendantes des déterminismes sociaux : certaines
sont liées au vieillissement (maladies neuro-dégénératives par exemple), d’autres à l’ali-
mentation et à l’activité physique (diabète, obésité, hypertension), à l’organisation de
la vie et à l’environnement. Elles demandent donc une véritable politique de préven-
tion sanitaire, ainsi qu’une politique de réduction des inégalités sociales et de santé.
Mais tous ces aspects, pas assez rentables, sont totalement négligés par la logique de
l’hôpital entreprise : elle n’est efficace que pour les actes standardisés et programmés,
les maladies bénignes ou la chirurgie ambulatoire, autrement dit pour les activités
que privilégient les cliniques privées, à vocation de profit.
La recherche de rentabilité est aussi profondément inadaptée aux soins psychiatriques,
qui nécessitent par essence un suivi régulier et au long cours, un contact humain, et
non des actes codifiés et « mesurables ». La spécialité psychiatrique, qui représente
près de 10 % des dépenses de l’assurance maladie, fait donc logiquement l’objet d’une
gestion catastrophique depuis des années. Là aussi, on ferme des lits (- 60% de lits de
psychiatrie générale à l’hôpital entre 1976 et 2016 selon l’IGAS – Inspection générale
des affaires sociales), on ferme des services, mais aussi les institutions en ville, au
profit de plateformes (de services d’expertise et de diagnostic) privées. L’enveloppe
budgétaire annuelle (la « Dotation annuelle de financement ») stagne depuis dix ans.
Alors que l’activité augmente, que l’ONDAM augmente de 2,5 à 3% par an, la psychiatrie
n’obtient que 0,88 % d’augmentation de dotation entre 2014 et 2018. En novembre 2018,
le projet de loi de la France insoumise « visant à sortir la psychiatrie de la maltraitance
budgétaire » proposait justement que la dotation en psychiatrie ne puisse être inférieure
au taux de croissance de l’ONDAM. Elle fut bien sûr rejetée. De même, en janvier 2019,