Page 15 - Editions Tarabuste
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D’où ce besoin, viscéral, qu’éprouve le narrateur
de se reporter au monde tangible, d’aller voir sur
place, vérifier ce que l’écran lui propose: un retour
au réel comme un clin d’œil aux réflexions d’Hal
Forster sur le nouveau paradigme de l’art. Ce
fantasme aussi, d’étreindre l’image aperçue sur
l’écran, de prolonger le virtuel par le charnel. À
moins qu’il ne faille, pour entrer en contact, dispa-
raître soi-même dans les limbes du réseau? Com-
me ces joueurs compulsifs qui se projettent dans
l’univers second des plates-formes vidéo en ligne
et s’identifient à ce point à leur avatar pixélisé
qu’ils ne savent plus habiter leur propre corps…
Le Net décuple son emprise psychique sur qui s’y
abandonne. Où l’on voit « ressurgir les angoisses
primitives de l’ame humaine au cœur de notre
plus extrême modernité ».
Car cette investigation, doublement menée par
l’écrivain et par son narrateur, sur quoi porte-
t-elle vraiment ? Sur la puissance tentatrice –
diabolique, peut-être ? – de l’univers numérique,
certes, mais aussi bien sur les textes sacrés et leurs
commentaires. La Bible elle-même devient par
moments le lieu de l’énigme, le texte à déchiffrer
que Nadaud nous invite à relire comme un roman
crypté. Son enquête cite à comparaître les Pères
de l’Église, théologiens et doctes rabbiniques. Alain
Nadaud retrouve là certains accents de son roman
Si Dieu existe (2007) et de l’essai Dieu est une
fiction (2014). Son talent est de montrer combien
les paramètres contemporains de l’existence ne
font peut-être que réitérer des problématiques
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