Page 197 - ANGOISSE
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Paris, Palais de l’Elysée – 16 Juin – 19h44
Le court déplacement jusqu’à l’Elysée s’effectua dans un silence pesant.
Personne n’osa apporter le moindre commentaire concernant ce à quoi ils
avaient assisté. Tous se posèrent néanmoins la question de savoir comment
une telle aliénation avait bien pu se produire. En quelques jours à peine, un
cancer généralisé semblait s’être subitement déclaré au point de faire resurgir
des comportements que l’on croyait à jamais enfouis dans le passé. Comme
symbole que la démocratie n’était jamais acquise et qu’il fallait lutter en
permanence pour la défendre. Le ministre de la défense, pensa le ministre de
l’intérieur, lui était toujours apparu comme un homme tranquille, calme, posé.
Quelqu’un semblant attaché aux vertus républicaines et puis il avait suffi de
cette vague de terrorisme, d’angoisse pour toute la population, pour que celui-
ci se transforme en dictateur. Sans avoir sans doute pleinement conscience
d’avoir basculé dans la haine ordinaire. Après tout, ce dernier n’avait pas voulu
prendre le pouvoir pour satisfaire son propre ego mais dans le but de protéger
la France de tous ses ennemis de l’intérieur. Avec vraisemblablement le
sentiment d’agir pour le « bien » de tous ses concitoyens. Sans toutefois se
rendre compte que le chemin emprunté puisse conduire à toutes les violences,
à toutes les haines. A toutes les atrocités. Il aurait suffi qu’une large partie des
français donnent crédit à ses visées d’éradication de la communauté
musulmane pour que l’histoire retienne de lui qu’il avait été celui ayant délivré
la France de tous ceux qui cherchaient à la combattre au nom de leur Dieu.
Oui, pensa-t-il la démocratie était fragile. La peur pouvait à tout instant mettre
sur le devant de la scène l’homme providentiel, celui qui apporterait la
solution, fut-elle celle que notre cerveau conscient figé par l’angoisse aurait
récusé un peu plus tôt. Le dénouement s’était joué sur le fil du rasoir et
finalement l’opinion publique, en manifestant spontanément dans les rues,
avait in extremis, fait basculer la balance d’un côté plutôt que de l’autre. Mais
il fallait garder à l’esprit qu’en janvier 1933, cette même balance avait penché,
lors d’élections tout à fait régulières, en faveur du nazisme jusqu’à semer
pendant plus de douze ans, des fleurs de haine et de morts. Par millions. Par
dizaines de millions.
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