Page 65 - le barrage de la gileppe
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rarement la visite des promeneurs. Le tableau était sauvage et ravissant lorsque
apparaissait à nos yeux la passerelle qui enjambait la Gileppe sous la Roche Picot.
Au-delà, vers les prés du Louba, la petite rivière escaladait sous des blocs de
rochers, ombragée par des saules et des aulnes où chantaient des myriades
d’oiseaux...
Le barrage est majestueux et le lac est impressionnant ajoutait notre vieil ami, et
son importance économique est hors de question. Mais j’aimais bien mieux le val de
Gileppe au printemps de mes jeunes années, lorsque, dans mes flâneries, j''écoutais
la musique du ruisseau et des branches...
» Lu neûre Cathrène »
Nous avons retrouvé dans l'annuaire du Caveau Verviétois de 1889-1890, sous la
signature d’Emile Gens, le récit d’une histoire émouvante dont les vieilles gens de
l’endroit, il y a cinquante ans, gardaient le souvenir.
Une jeune fille de Hoboster, dont les cheveux d’ébène lui avaient valu le surnom
de « Neûre Cathrène » (Catherine la noire) avait été séduite par un garçon de
Herbiester et attendait un événement qu’on ne pouvait vraiment pas qualifier
d’heureux.
Le moment approchait quand, un jour d’hiver, elle cheminait péniblement de
Béthane vers la Roche Picot, par le chemin de Hoboster qui traversait la Gileppe sur
une passerelle sans garde-corps. Elle glissa sur l’étroite poutre de chêne et tomba
dans l’eau glacée. La pauvre fille poussa un cri déchirant. Dans sa chute, elle avait
senti surgir la vie qu’elle attendait... Mais à ce moment, par un hasard providentiel,
Hubert, son séducteur, passait par-là et entendit son appel. Il se précipita, la retira
des eaux et la porta dans ses bras jusqu’à la hutte d’un charbonnier. C’est là, dans le
silence de la forêt et la morsure du froid, que leur enfant vit le jour.
Dès ce jour, Hubert ne vécut que pour sa femme et leur petit. Il braconnait et retirait
quelque argent du gibier vendu dans les fermes voisines.
Le val de la Gileppe fut bientôt envahi par la légion d’ouvriers qui allaient
construire le barrage. Hubert et sa femme leur vendaient la « goutte » de genièvre,
très en honneur à l’époque, et trouvaient là de nouvelles ressources.
Hélas, un jour sombre allait à nouveau se lever. Les eaux du ruisselet, le petit Lys,
grossirent, montèrent, et les amants de la forêt durent s’enfuir devant l’inondation de
la vallée. Ils se réfugièrent à Jalhay où, après avoir été rebutés et subi les affres du
froid et de la faim, ils furent sauvés par de bonnes gens qui les avaient pris en pitié.