Page 70 - le barrage de la gileppe
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                                           Les fiancés de la Fagne





                    Un des ouvriers qui travaillaient à la construction du barrage s’appelait François
               Reiff. Il était originaire de Bastogne et logeait à Béthane.
                  Un soir de bal, à Goé, il avait fait la connaissance de Marie-Josèphe Solheid, de

               Xhoffraix, en service chez le fermier Niezette, de Haloux (« Tournas d’Hâlou », père
               de l’ancien député).


                   Les  jeunes  gens  se  rencontrèrent  les  dimanches  suivants,  s’aimèrent  d’amour
               tendre et résolurent de se marier. La date fut fixée : février 1871.
                  Au début de janvier, ils quittaient la Gileppe pour se rendre au village de Xhoffraix

               où ils allaient demander les actes d’état civil nécessaires à leur prochaine union. Il
               neigeait à gros flocons.


                  Gais comme des amoureux, ils montèrent le chemin de la Roche Picot, qui
               s’élargissait et devenait une route aux approches de Jalhay.

                   Ils firent halte au café Mixhe, rue de la Fange. Comme beaucoup de Jalhaytois, ce
               Mixhe portait un surnom : celui- là avait été baptisé « Coriotte », du nom d’une
               fontaine du village au voisinage de laquelle, sans doute, ses aïeux avaient habité.
               Les jeunes gens n’avaient pas choisi au hasard ce relais : le frère de Marie-Josèphe,
               Lambert, s’était mis au service du cabaretier, et, par extension, on l’appelait aussi «
               Lambert Coriotte », ou « Lambert d’amon l’Coriotte ».

                   Les fiancés arrivèrent au début de l’après-midi, et demandèrent à « boire le café ».
               Et tandis qu’ils se réchauffaient du feu de tourbe, ils annoncèrent à Lambert et au
               patron leur intention de gagner Xhoffraix le même jour.

                   Les deux hommes se récrièrent. Il ne fallait pas y songer ! Les Jalhaytois qui
               connaissaient le mieux la fagne ne s’y seraient pas risqués ! Reiff pouvait loger au
               café, et Marie-Josèphe chez Lemaître, en face de là. Ces souvenirs précis nous ont
               été contés, en effet, le 26 août 1931, par Marie-Catherine Defraiture, veuve de Henri
               Lemaître, alors âgée de quatre-vingt-dix-huit ans, la dernière r personne en vie qui
               avait vu les fiancés avant leur tragique aventure.

                    Les jeunes gens opposèrent une résistance têtue aux prières de Lambert et aux
               bons conseils du cabaretier Mixhe. Ils ne voulaient pas s’attarder, la nuit tombait tôt.
               Ils connaissaient le chemin et arriveraient à Xhoffraix avant le soir...

                   En haussant les épaules avec fatalisme, Lambert Solheid les regarda partir dans
               la valse des flocons de neige. On ne devait plus les revoir vivants. François Reiff fut
               retrouvé le premier, au lieu-dit « les Biolettes », dans les fagnes de Sart. Le livre des
               décès de la commune a noté le 14 mars 1871, comme étant la date de sa mort.

                   Le Nouvelliste du 16 mars 1871 annonçait ainsi l’événement : « On a découvert
               hier (le 14) sur la Fange, le cadavre d’’un jeune homme qu’on recherchait en vain
               depuis deux mois. Il ne portait aucune trace de violences ; à part un peu de noirceur
               sur la figure, on ne remarquait sur son corps aucun symptôme de décomposition. »
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