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             qu'un sujet aussi provocant aurait pu produire. D'une certaine manière, on
             sent que la sophistication artistique que ce thème exige a été compromise
             dans le désespoir d'une idéologie clarificatrice non patriarcale.

             Conclusion

             La théorie nsibidi comme nouvelle approche pour
             théoriser le cinéma africain

                     Je voudrais maintenant conclure mon argumentation par une anec-
             dote qui, je crois, clarifie l'élan contre-hégémonique de mon discours sur
             l'esthétique et la théorie du film africain dans cet essai. Il n'y a pas long-
             temps, un journaliste africain assistant à un concours mondial de beauté
             s'est vu demander par un critique occidental (euro-américain): « Quels cri-
             tères utilisez-vous pour définir la beauté d'une femme en Afrique »? Le
             journaliste africain sourit et répond avec une lueur d'espièglerie dans les
             yeux : « En Afrique, nous pensons que moins une femme ressemble à un
             homme ; plus elle est belle! ». Cette remarque pleine d'esprit est inestimable
             dans toute analyse théorique ou critique du cinéma « africain » dans le sens
             où moins un film africain ressemble à celui d'un film américain, asiatique,
             australien ou européen dans sa totalité en tant qu'artefact, plus il est beau
             ou innovant ! Le facteur de redéfinition dans cette entreprise, comme je l'ai
             illustré avec des textes dramatiques et cinématographiques africains, est
             l'intérêt du cinéaste pour la sémiologie de sa propre culture indigène en tant
             que source de l'infrastructure iconographique ou linguistique sur laquelle
             il peut façonner d'autres sémiologies provenant de divers lieux et cultures
             (européenne, américaine, russe, etc.) dans son film. Sans cette connaissance
             approfondie de la sémiologie africaine indigène, nos cinéastes continueront
             à patauger, comme nos politiciens, économistes et universitaires, d'un mo-
             dèle politique ou théorique à un autre. Dans ce contexte, il est essentiel que
             les cinéastes africains étudient soigneusement l'impératif vernaculaire des
             meilleurs films de toutes les régions du monde. Ils doivent lire et relire les
             structures  et les iconographies stabilisatrices prédominantes des  grands
             films  et se poser les questions suivantes: Qu'est-ce qui donne à ces films
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             une telle densité imaginaire et une telle complexité narrative? Pourquoi mé-
             ritent-ils d'être lus et relus? Qu'est-ce qui est responsable de leur sophisti-
             cation sémiologique ? Pourquoi révèlent-ils leurs sous-textes avec une telle
             réticence? Pourquoi leurs structures narratives diffèrent-elles de celles de
             la plupart des autres films que nous voyons? Pourquoi ne pouvons-nous pas
             faire des films aussi compliqués, poétiques et mythopoétiques que ceux-ci?
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