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Esiaba Irobi / Le discours cinématographique africain 337
L'hypothèse selon laquelle les publics africains ne seraient pas capa-
bles de faire face à des stratégies narratives ou visuelles complexes est, au
mieux, un argument stupide, bien que commercial. Il suffit de lire le Luth 34
de Gassire sur le peuple soninké de l'ancien Mali, de voir L'Ijele des Igbo
d'Anambra, d'écouter Les subtilités d'une chorégraphie d'Atilogwu,
L'Alagba des Kalaba ri, ou d'étudier La divination Ifa ou Les Oriki des Yo-
rubas, pour faire l'expérience de la sophistication qui entre dans la construc-
tion de nombreux métarécits qui existent encore dans la performance,
l'oralité et la culture africaines indigènes, métarécits qui peuvent être habi-
lement transférés des strates orales, rituelles et théâtrales des cultures afri-
caines au support cinématographique pour une plus grande complexité .
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Ce que je veux dire ici, c'est qu'un grand nombre de films africains sont
trop simplistes au point de surprendre par leur amateurisme. Je n'ai pas be-
soin de cataloguer ici notre moisson de médiocrité et il n'y a pas assez d'es-
pace pour le faire. En outre, je ne veux pas me faire d'ennemis aussi tôt dans
ma carrière de spécialiste du cinéma. Tout ce que je dis, c'est que nous de-
vrions au moins exiger davantage de nos cinéastes.
Un autre rôle important que nous devons jouer en tant que cher-
cheurs est de trouver des moyens significatifs d'encourager les cinéastes
africains à faire des recherches et à suivre des cours de perfectionnement
en écriture de scénario et en réalisation de film. Nous devrions essayer de
mettre en place le genre d'école de cinéma que Gabriel García Márquez
a créé en Amérique du Sud pour ces cinéastes. Une école de cinéma qui,
dans son internationalité, valorise l'imagination locale, en insistant sur le
fait que l'ontologie est le lieu fondamental de la culture et du soi, la base de
la négociation de la politique de l'engagement esthétique de toute forme
d'art avec le monde. Une telle institution améliorera grandement le cinéma
en tant que forme d'art sur le continent africain. Ensuite, il y a la question
de la théorie. L'approche Nsibidi, qui s'appuie sur une immersion profonde
dans l'histoire de l'art de l'Afrique et des cultures africaines, aidera certai-
nement nos cinéastes à créer davantage d'œuvres d'art qui perdureront et
mériteront une recherche scientifique intemporelle.
Esiaba Irobi est né dans la République du Biafra et a vécu en exil au Nigeria,
au Royaume-Uni et aux États-Unis. Il est titulaire d'un baccalauréat en
anglais/théâtre et d'une maîtrise en littérature comparée de l'Université du Ni-
geria, Nsukka; d'une maîtrise en cinéma et théâtre de l'Université de Sheffield,
Royaume-Uni; et d'un doctorat en études théâtrales de l'Université de Leeds,
Royaume-Uni. Il a enseigné à l'Université Liverpool John Moores en Angleterre
et à la Tisch School of the Arts de l'Université de New York, et a été professeur