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             la culture occidentale. Ainsi, sans surprise, étant donné la relation politique
             qui s'est instaurée entre l'Afrique et l'Occident, la question de savoir en quoi
             pourrait consister la « philosophie africaine » a été caractérisée par une lutte
             pour distiller les caractéristiques pures, authentiques, originales, tradition-
             nelles ou indigènes de ce qui a généralement été considéré comme des in-
             fluences  extérieures  perverses. Les historicisations  de  Mudimbe  nous
             amènent à soupçonner que, articulée sous cette forme, une telle activité peut
             ne pas être très utile, et que le concept d'authenticité peut lui-même être im-
             pliqué dans des formulations d'originalité intellectuelle, d'appropriation cul-
             turelle et de mimésis qui éludent la spécificité historique et culturelle même
             qu'il est censé animer :
                Le fait est que, jusqu'à présent, les interprètes occidentaux comme les analystes
                africains ont utilisé des catégories et des systèmes conceptuels dépendant d'un
                ordre épistémologique occidental, et que même dans les descriptions « afro-
                centriques » les plus explicites, les modèles d'analyse, se réfèrent explicitement
                ou implicitement, sciemment ou non, à ce même ordre. Cela signifie-t-il que
                les Weltanschauungen africaines et les systèmes de pensée traditionnels afri-
                cains sont impensables et ne peuvent être explicités dans le cadre de leur propre
                rationalité  ?
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                     La question saisit le problème philosophique fondamental invoqué
             par la politique de l'authenticité telle que pratiquée par les africanistes (aussi
             bien les marxistes occidentaux que les nationalistes africains) et offre la
             possibilité de redéfinir les bases théoriques sur lesquelles le projet africa-
             niste peut être établi.

                     J'aimerais examiner comment la critique cinématographique afri-
             caine et les films africains en tant qu'objets de critique contribuent et reflè-
             tent cette discussion sur la possibilité d'une philosophie africaine. Le même
             problème essentiel se présente: qu'est-ce qui peut être correctement défini
             comme africain, et est-il possible de séparer cet objet pur des influences
             occidentales présumées impures? En évaluant quatre théoriciens majeurs
             du cinéma africain et du tiers-monde dans le contexte de leurs positions cri-
             tiques, j'espère suggérer comment la question de l'authenticité peut confiner
             les lectures contemporaines du cinéma africain, et comment, dans le pro-
             cessus même de constitution du cinéma africain comme tradition, ses cri-
             tiques peuvent contribuer à sa réduction.
                     Il est possible de supposer que l'Afrique en tant qu'entité est un pro-
             duit idéologique, que son unité et son identité sont construites plutôt que
             d'avoir une existence historique ou matérielle a priori, une hypothèse qui a
             une incidence importante sur les trois principales positions critiques utili-
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