Page 353 - Livre2_NC

344 FESPACO/BLACK CAMERA/INSTITUT IMAGINE 12:2

Le modernisme, troisième position majeure, est étroitement lié à la
seconde par son absence d'intention polémique manifeste ; il met l'accent
sur sa propre subjectivité dans l'attribution d'une valeur à un texte, en tentant
de relativiser les descriptions, de niveler les différences catégorielles et de
se rapprocher d'une interprétation et d'une critique universelles au moyen
d'une discussion plus détaillée, particulière et contextualisée. Ce type de
critique est surtout pratiqué dans sa forme populaire par les critiques de
journaux et les biographes; il présume généralement de l'indépendance de
l'auteur et s'attarde sur le réalisateur ou l'auteur comme centre du texte, dé-
dramatisant les relations de pouvoir dans lesquelles les textes s'inscrivent
et la situation politique de l'œuvre. La tradition moderniste critique se
concentre généralement sur le texte en tant qu'événement esthétique, et glo-
rifie l'auteur pour avoir élevé le texte au rang de haute culture .
5
Férid Boughedir, l'un des premiers critiques du cinéma africain,
est quelque peu paradigmatique en tant que théoricien qui a insisté pour im-
poser des systèmes de classification aux textes. Il catégorise les films afri-
cains « en fonction des positions théoriques de leurs auteurs et de leur effet
sur le public leur fonction ultime » : la tendance politique est un exercice
de conscientisation destiné à mobiliser le peuple dans une résistance com-
mune; la tendance moraliste représente une analyse politique à courte vue
qui individualise les problèmes de la société africaine; la tendance com-
merciale tente de divertir en vendant des émotions; la tendance culturelle
réévalue la culture africaine contemporaine par rapport aux traditions po-
pulaires; la tendance « expression personnelle » exprime les vues person-
nelles d'un auteur aliéné; et la tendance « intellectuel narcissique », une
sous-catégorie de la précédente, se caractérise par l'idéalisation naïve de la
culture africaine traditionnelle et la perpétuation des mythes sur l'Afrique .
6
De telles catégories nous permettraient d'identifier le libératoire et de le dis-
tinguer du régressif. Dans sa construction, il y a un acte de foi où l'alliance
avec « le peuple » est vue comme une position transparente et positive. Le
réalisateur a la possibilité d'être soit pour ou contre le peuple, soit régressif
ou libéral.
Teshome Gabriel, l'un des principaux défenseurs de la théorie cri-
tique du cinéma du tiers-monde, adopte une approche tout aussi explicite
et ouvertement néo-marxiste, mais avec un peu plus de subtilité . Suivant
7
la position critique adoptée par Franz Fanon et les défenseurs latino-amé-
ricains d'un troisième cinéma, ou cinéma imparfait, le travail de Gabriel
est basé sur une tentative de formuler cet autre cinéma, essentiellement dif-
férent, comme un mouvement subversif de la domination à la libération.