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Stephen A. Zacks / La construction théorique du cinéma africain   349

         film correctement) et d'interprètes inauthentiques (les étrangers dont l'ap-
          propriation critique est un produit régressif du néocolonialisme), et consi-
          dère la différence dans les positions subjectives des lecteurs comme fixe et
         déterminée par le contexte politique. En tant qu'outil génératif pour engager
          une interprétation textuelle créative et pour supplanter l'interdiction néo-
          marxiste moralisatrice de l'appropriation critique, l'approche d'Armes est
          extrêmement fertile. Les oppositions permettent d'entrer dans la structure
          narrative et le système de signification inscrit dans les éléments formels des
          films, les attirant en fait vers l'appropriation critique même lorsqu'ils sont
          censés militer contre de telles lectures humanistes et universalistes. Comme
          l'a dit Sembène : « En un mot, les Européens ont souvent une conception
          de l'Afrique qui n'est pas la nôtre  ».
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                 Lors d'une analyse plus rigoureuse, cependant, les binarismes struc-
         turels qu'Armes emploie, comme la présomption d'un concept occidental
         de l'espace comme essentiellement différent de l'espace africain, ou la do-
         mination du temps comme technique narrative à Hollywood par opposition
         à l'utilisation de l'espace dans les films africains, apparaissent comme très
         schématiques.  Bien qu'il  ne fasse guère de doute  que les oppositions
         construites par Armes sont utiles aux interprètes occidentaux, elles peuvent
         être considérées comme imparfaites ou discutables en tant que catégories
         distinctives, et mettent en évidence les présupposés théoriques très tendan-
         cieux sur lesquels repose son travail. La fonction de l'individu par rapport
         au groupe, par exemple, telle qu'elle est abordée dans la discussion d'armes
         sur  Camp  de  Thiaroye  (de  Ousmane  Sembène, 1988, Sénégal),  Wend
         Kuuni  (de  Gaston  Kaboré,  1982  Burkina  Faso)  et  Yaaba  (de  Idrissa
          Ouédraogo,  1989,  Burkina  Faso)  reposent  sur  une  comparaison  plutôt
          mythique entre l'Afrique et l'Occident  . Il affirme que dans chacun de ces
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         films, la position de marginal ou d'étranger d'un personnage central ne prend
         de l'im- portance dans le récit que pour souligner la primauté du groupe.
         Même lorsqu'un individu est clairement au centre du récit, comme dans
         Yaaba  où le film tourne presque autour de la position individuelle d'un
         garçon opposé à la communauté, Armes affirme que l'individu fonctionne
         simplement comme un symbole d'un rôle caractéristique dans la culture ou
         d'une posi- tion mythologique dans les contes oraux qui a une importance
         générale plu- tôt qu'individuelle. Nous pourrions noter que l'on pourrait
         tout aussi bien dire  la  même  chose  de  Rambo  ou  de  Dirty  Harry,  par
         exemple, en ce sens qu'ils pourraient être interprétés comme de simples
         aspects animateurs de certains récits historiques, culturels ou mythiques
         relatifs au Vietnam et au Far West  .
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